Martin John, un délinquant sexuel, a été envoyé à Londres par sa mère pour échapper aux autorités. Depuis, il doit naviguer seul dans cette ville hostile où tout conspire à le faire dévier de la routine implacable et absurde à laquelle il s'est astreint. Le piège semble se refermer sur lui alors qu'un agaçant chambreur, sans doute un espion envoyé par la police, fait irruption dans sa vie.
Comme une partition musicale ou un encéphalogramme, ce roman singulier emprunte les rythmes sinueux de la paranoïa du protagoniste et la rigidité de son esprit obsédé. Finaliste au Giller Prize, Martin John a connu un succès populaire et critique exceptionnel dans le monde anglo-saxon
Mon avis : L'histoire suit le réseau du métro de Londres, mais aussi des règles arbitraires qui résultent, on le comprend rapidement, du cerveau de Martin John. De quoi souffre-t-il ? Difficile à dire, il passe du coq-à-l'âne, est très rigide sur certaines choses (haine des mots avec la lettre P, fascination pour l'Eurovision), répète des phrases (un peu comme des stéréotypies), devise avec des personnes qui semblent issues de son imagination (Conscience Chauve, Gary,..et même sa mère, ce qui peut faire penser à Psychose d'Hitchcock, ou à Split De M.Night Shyamalan). Mais là où c'est encore plus intéressant qu'une redite sur la folie, c'est qu'au lieu d'avoir affaire à un regard extérieur, on est dans la tête du personnage, et ça reproduit l'emberlificotage de son esprit : est-ce réel ? Pourquoi ne nous dit-on pas tout ? Pourquoi cloisonne-t-on certaines informations ? (ce qui peut faire réfléchir d'ailleurs au rôle du narrateur, qui nous ballade finalement dans chaque livre et distille des indices...)
C'est aussi un livre sur la misère sexuelle, Martin John, on voit que ça l'obsède et que ça lui fait peur à la fois. Il peut faire penser au personnage dans Eraserhead, le bébé-tête-d'agneau en moins. Il erre dans un décor désincarné, avec des protagonistes hostiles et étranges (pour ceux qui semblent exister), et des représentations encore plus étranges dans sa tête. Et le seul sens qu'il peut trouver, c'est comme un nouveau-né, les sensations que son corps ou les autres peuvent lui procurer (c'est un pervers polymorphe dirait Freud, oui oui, c'est ce qu'il dit des enfants). Donc d'un côté, c'est aussi dur de lui en vouloir, je ne le sens pas responsable, et même à plusieurs reprises, je me suis demandé s'il n'y aurait pas un twist qui en ferait un enfant... La relation à la mère (encore une fois, si elle existe) est aussi intéressante : on se rend compte au fur et à mesure qu'elle aussi souffre de petites manies, qui empiètent de plus en plus sur elle. Au début, ça m'a fait penser qu'en terme de problèmes psychiatriques, (j'avais lu ça il y a quelques temps, donc je ne sais pas si c'est dit tel quel), il y a parfois chez les parents des signes atténués de la maladie de l'enfant... Mais la fin apporte d'autres interprétations ( et bon sang, sur la dissolution du moi, j'ai rarement lu aussi radical). Donc c'est une autre réussite du livre, à côté de cette distorsion du réel, il y a des choses très prosaïques, très réalistes, ce qui donne vraiment cette impression d'une vision fragmentée du monde.
Au début, pour nous lecteurs, ça manque de générosité. Passé l'excitation de l'originalité, ne rien comprendre et tirer sur des fils préalablement découpés par l'auteur, c'est très frustrant. Mais petit à petit, le nœud commence à se faire sentir, et le livre devient difficile à lâcher. L'une des grandes forces de ce roman, c'est que dans un premier temps, on éprouve surtout de la pitié pour Martin John. On passe sous silence ce qu'il a fait, donc on a l'impression d'être avant tout face à une personne qui a des problèmes psychiatriques. Mais au bout d'un moment, on ne peut qu'être mal à l'aise. C'est sale et glauque, il commence à nous détailler ses agressions, son exhibitionnisme. Le narrateur nous parle d'une chose, et on s'aperçoit soudainement que Martin John se paluche dans une salle commune de son hôpital psychiatrique, parfois le narrateur nous met directement en garde (et même ce narrateur, on se demande si ce n'est pas Martin John, avec ses rituels qui reviennent, sa paranoïa).... La narration est disloquée, lacunaire, on n'a que ce qu'il veut bien nous dire, parfois il ne veut pas, alors on avance, on avance, puis il revient en arrière. Cette attente s'étire, grâce aux indices dissimulés le long des pages et la tension monte. Et immanquablement la peur qui en découle : est-ce que je vais être récompensé de mâchouiller cette histoire ? Est-ce que je ne vais pas ressentir un tout ça pour ça à la fin ? La conclusion est comme le début : elle redevient hermétique. On peut faire des suppositions, mais nos questionnements ne seront pas résolus. Donc c'est un peu frustrant, mais c'est un livre que je vous conseille, quand même, parce que je trouve la narration vraiment couillue de rester aussi perturbante et déroutante. Mais il faut aimer ce qui est cryptique.
Le meurtre de George Floyd en mai 2020 a inspiré à Louis-Philippe Dalembert l'écriture de cet ample et bouleversant roman. Mais c'est la vie de son héros, une figure imaginaire prénommée Emmett - comme Emmett Till, un adolescent assassiné par des racistes du Sud en 1955 -, qu'il va mettre en scène, la vie d'un gamin des ghettos noirs que son talent pour le football américain promettait à un riche avenir.
Mon avis : Je n'aime pas juger une intrigue (je suis d'avis que l'auteur écrit ce qu'il veut, à partir du moment où c'est bien fait), MAIS (Vous la sentez venir ma grosse prétérition ?), je trouve difficile de s'attaquer à des sujets de société, car le risque est de s'effacer derrière eux, et ici c'est le cas. J'ai un peu la même impression qu'avec Soleil amer, celle de ne pas lire un roman, mais une sorte d'article romancé. (il n'y a pas d'ambiance, pas de description. On a l'impression de toujours être en mouvement, de ne jamais se poser pour instaurer quelque chose. Certes, au départ, ce sont des personnages qui racontent, ce serait étrange qu'ils décrivent ce qu'ils voient, mais la narration passe à la 3ème personne à la moitié, et c'est la même chose). Un autre problème, c'est qu'il y a encore beaucoup de clichés littéraires (beaucoup beaucoup beaucoup, même, entre un et trois par phrase, je ne vais pas les relever comme pour L.Hassaine, vous voyez l'idée). Alors, certes bis, ici, la différence, c'est que c'est les personnages qui parlent (donc ils n'ont pas à se soucier de la langue, a priori). Mais dans ce cas-là, pourquoi utilisent-ils des expressions françaises « à côté de ses pompes », « haute comme trois pommes » « saoul comme un cochon », etc ? Ça brise l'illusion romanesque ! C'est comme par exemple quand tous les personnages allemands parlent en anglais dans un film sur la deuxième guerre mondiale... Pareil avec l'image de l'albatros qui revient plusieurs fois. C'est une référence française, pas américaine (il y a aussi la madeleine de Proust, mais celle-ci s'est exportée me semble-t-il). Les différents protagonistes ont les mêmes tics de langage, « qui pis est » par exemple. Ça donne à ces voix censées être différentes un côté très artificiel, l'épicier parle comme l'ami qui fait le con, l'amie d'enfance parle comme l'ex, l'instit' comme l'étudiante. C'est dommage parce que la pluralité de voix est une bonne idée. Mais je ne vois pas leur unicité.
J'ai l'impression de traverser l'Amérique que je connais, qu'on connait tous à cause de la pop culture : American dream impossible, guerre du Vietnam, Woodstock, Angela Davis, les ghettos, la drogue, le campus,j'ai l'impression d'être devant le générique d'un biopic en route pour les oscars. Ici, je trouve les situations très stéréotypées : l'épicier d'origine pakistanaise, le « poulet Kentucky », la pauvreté avec seul le sport universitaire comme issue pour les personnes noires. Comment il perd sa couleur devant le succès, difficulté de couple mixte (O.J. Simpson ou Tiger Woods). Je sais que c'est une réalité... Mais je vois dans la littérature la possibilité d'ouvrir d'autres portes... (et de créer de nouveaux stéréotypes sur le long terme, mais c'est une autre question :D) Donc c'est dommage de voguer de stéréotypes en stéréotypes, ça donne un peu l'impression d'être bloqué devant 3-4 épisodes de Cold Case (PS : changer mes références).
Pareil, certains passages sont maladroits, par exemple quand l'étudiante parle de ses camarades « habillées comme des travailleuses du sexe », je veux bien qu'elle ait tellement intégré le slutshaming qu'elle le perpétue, mais ça ne colle pas, ça ne lui ressemble pas, puisqu'elle a l'air assez féministe quelques pages plus loin. Ou quand l'amie d'enfance évoque le concept de « angry black woman », je trouve que c'est mal intégré dans le texte, comme si on voulait à tout prix l'y inclure, mais sans le travailler. Ça ne suffit pas de le dire, encore faut-il le mettre en scène, sinon, ça fait pot-pourri, ou grille de bingo. Et quand je vois la bibliographie à la fin, je me demande si ce n'est pas le risque de faire trop de recherches, le côté exposé...
Et puis, cet homme que tout le monde aime, dont les filles sont amoureuses, les institutrices fières, ben il m'ennuie. Y a pas de crasse, rien à gratter, (et comme on sait dès le départ comment ça va terminer, y a pas énormément d'enjeux...).
Pour revenir à ce que je disais, je pense que c'est le souci d'écrire des livres trop dans l'actualité : on ne prend pas de recul, on ne peut être que dans l'hagiographie (au pire) ou la contextualisation (au mieux), on laisse la fiction de côté. On ne peut pas essayer d'expliquer (l'écrivain est un avocat). Et en tant que lectrice (et en tant qu'autrice), j'aimerais lire des livres qui me mettent mal à l'aise : ça aurait pu être intéressant quand il prend le point de vue du flic, de nous le rendre compréhensible, qu'on embrasse notre noirceur, qu'on soit choqué, qu'on se questionne (« est-ce que je serais capable de faire ça ? et pourquoi oui, et pourquoi non ? »), il y aurait eu plus de prise de conscience je pense que d'en faire un con raciste et sexiste. Ou de faire d'Emmet un salaud. La police ne devrait pas tuer, point. Ça aurait pu être bien. Ici, on se donne bonne conscience, moi je lis ce en quoi je crois, mais du coup, je m'ennuie, je ronronne.
En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l'inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s'engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l'Argentine, quelle vérité l'attend au centre de ce labyrinthe ?
Mon avis : Périlleux de résumer ce livre, l'auteur dit souvent qu'il déteste la question « de quoi ça parle ? », j'ai peur de commettre un sacrilège. Disons pour faire simple que c'est la quête d'un jeune auteur, qui part sur les traces d'un livre introuvable, le labyrinthe de l'inhumain, de T.C Elimane, auteur qui n'a laissé presque aucun indice sur sa route. Ce faisant, il va croiser le chemin d'autres personnes qui vont lui raconter leur vie (et dans leur récit, d'autres personnes racontent aussi leur vie, il y a un enchâssement de récits). Et donc, c'est un peu la métaphore de la littérature, ou de l'art plus généralement, ce chemin qui se démultiplie. Et c'est en même temps une vision désabusée du sort qu'on réserve à l'art : « Mais chercher la littérature, c'est toujours poursuivre une illusion. Chercher la littérature, c'est chercher la merde ». On voit que le narrateur se sent comme une bête d'un ancien temps, avec ses compagnons de plume, qu'il sent l'absurdité de parler des heures de l'art quand dehors, ce n'est plus le temps, ni l'envie, il sent la futilité (et en même temps cette futilité irrigue toute sa vie). C'est aussi un livre sur la question noire, qu'est-ce qu'être un écrivain noir en France, selon les époques : être ramené à sa couleur autant dans les années 30 que de nos jours (le fait d'être décrit comme « une étoile montante » aussi réducteur que le « Rimbaud nègre» qu'on assigne à T.C Elimane en son temps. D'ailleurs, on montre à un moment la difficulté de briller, de « devenir des savants dans la culture qui a dominé et brutalisé la leur ».) Et cette impossibilité, (et ce désir qui se perpétue) c'est ça, la plus secrète mémoire des hommes.
Quand il n'est pas sur un ring à boxer, Max Le Corre est chauffeur pour le maire de la ville. Il est surtout le père de Laura qui, du haut de ses vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui. Alors Max se dit que ce serait une bonne idée si le maire pouvait l'aider à trouver un logement.
Mon avis : Seul un problème me vient en tête. Ce n'est pas un problème majeur, ça n'empêche pas de lire le livre, mais en fait, le texte est assez classique, sauf parfois, on ne sait pas trop pourquoi ou il y a un mot qui casse tout le rythme (c'est original, ça oui, je ne vais pas dire l'inverse, mais je ne chaussure comprends pas le sens de certaines phrases.) Alors, certes, j'ai dit que la littérature c'est (oui, j'aime bien définir la littérature apparemment, c'est jamais la même définition d'ailleurs), que la littérature, donc, c'est relire une phrase sans en saisir le sens dans un premier temps, soulever le nez et savourer. Mais là, j'en saisis pas le sens, j'ai l'impression qu'on a mis un mot en plein milieu par maniérisme, y a prise de risque comme ils disent dans top chef (Le Goncourt est soit-dit en passant le top chef littéraire, Abel Quentin « je vais partir sur une cuisson au wok(e) », Michel Sarran qui pète un plomb devant les candidats « le roman social, c'est l'émotion, nom de dieu ! ») . Bref, je m'égare, ici est-ce que ça paye ? Est-ce que ça paye...Et bien un peu quand même. Il y a une sorte de manifeste dans la manière dont la fille veut raconter son histoire : « cette manière un peu digressive, un peu désaffectée aussi, qu'elle avait de raconter son histoire, comme si elle ne lui appartenait pas vraiment, comme si elle se regardait elle-même la raconter sans qu'à aucun moment, non, elle n'ait cherché à les prendre par les sentiments - sa manière à elle, finiraient-ils par comprendre, d'y parvenir ». Nous sommes les flics, nous butons de moins en moins devant les mots, les phrases parfois tordues, on s'habitue, et puis on trouve ça pas mauvais, en fin de compte.
Ce n'est pas de la tarte à résumer, cette histoire. Il faut procéder calmement. C'est une histoire vraie, comme on dit. Un garçon de onze ans est enlevé à Paris un soir du printemps 1964. Luc Taron. (Si vous préférez la découvrir dans le livre, l'histoire, ne lisez pas la suite : stop !) On retrouve son corps le lendemain dans une forêt de banlieue. Il a été assassiné sans raison apparente. Pendant plus d'un mois, un enragé inonde les médias et la police de lettres de revendication démentes, signées « L'Étrangleur» ...
Mon avis : C'est une lecture qui se fait au microscope ou chaque piste étale ses ramifications jusqu'à en devenir quelque peu rébarbative. J'ai la sensation d'avoir travaillé le livre au corps, et si au début, j'aimais bien cette sensation, je me sens vidée et avec la sensation d'y voir de moins en moins clair ; c'est dommage, car en gagnant en concision, le livre aurait pu être un coup de coeur. On lit une sorte de compte rendu de police ultra détaillé ; si l'un des suspects a été verbalisé parce qu'il n'a pas ramassé la crotte de son chien (bon, là, c'est un anachronisme), vous le saurez. Mais je ressens un haut-le cœur, entre deux émerveillements - et il faut dire que cette impression est assez intéressante en soi. On se sent petit face à l'œuvre, perdu face aux phrases qui deviennent tentaculaires. Donc, je vous le conseille malgré tout.
Fin de la chronique ?
C'est ce que j'ai écrit à un huitième du livre environ. Lassée, prête à abandonner (mais quand même, j'avais lu beaucoup de pages, je ne pouvais pas passer outre sans rien écrire !), j'allais mentir sans trop de scrupules et faire croire que je l'avais terminé, allez zou, prochain livre. Et mon compagnon m'a tiré les bretelles. « C'est pas honnête pour les gens qui te lisent ! ». C'est pas honnête, c'est pas honnête, j't'en foutrais du c'est pas honnête. Piquée, j'ai continué, d'abord en soufflant beaucoup d'air froid par les narines, puis de moins en moins, puis mince, il est dur à lâcher ce livre. J'aime bien être amenée à dépasser ma propre médiocrité, car les amis, la rencontre s'est faite.
Au début, c'est un relevé objectif des faits - mais on s'aperçoit au fur et à mesure que c'est une preuve que l'objectivité n'existe pas. Lui-même perçoit au bout de ses recherches l'impossibilité de découvrir une vérité optimale. « (chercher inlassablement, bêtement, une vérité précise qu'on ne trouvera jamais : ras le pompon) » On s'interroge aussi sur le romanesque. Jaenada a-t-il mis les faits bout à bout, dans un souci d'authenticité ? Rien n'est moins sûr. C'est comme une blague, il connait la chute, et prend le plaisir d'appuyer sur tel fait, tel absurdité pour que la fin n'en soit que plus agréable. (en tout cas, c'est l'impression que j'en ai : il maltraite parfois les « personnages » dès le début, Taron, Salce,etc... parce que qu'il connait déjà leurs méfaits). Il faut que l'illusion romanesque existe, et donc, on se demande parfois, comme devant une série aux multiples cliffhangers jusqu'où ça va nous mener. Et puis le livre donne sacrément envie de se plonger dans l'enquête de Jean-Louis Ivani et Stéphane Troplain (Le voleur de crimes : l'affaire Léger, 2012).Au début, on regarde notre montre, puis à la fin, c'est elle qui nous regarde. le monde y est petit : on y croise Modiano, l'actrice Douchka, Maurice Papon, le réalisateur Molinaro, Michel Drucker et le Pen jeunes (oui, c'est possible).. Jaenada aurait dû être flic (son double comique Delarue s'en prend plein la pomme, et d'un côté, quand l'auteur voit dans les textes de Salce une preuve d'un passé pas très clair, on se demande s'il ne s'inspire pas de l'inspecteur. Mais je lui pardonne pour les éclats de rire causés, quelques pages plus loin, par l'épluchage du dossier de demande de déporté-résistant du même Salce :D). Ce qui est chouette aussi, c'est la construction narrative : d'abord les victimes (Luc et Lucien, ces deux frères dans l'ombre), puis les méchants (les infâmes Taron et Salce), et enfin celle qui est peut-être la véritable héroïne : Solange ( d'où la couverture). Elle est victime de son époque, la pauvre Solange, internée pour ce qui ressemble à des crises d'angoisse, obligée de divorcer pour ne pas subir l'opprobre... Et pourtant légère, amusante, même. On sent la connexion entre l'auteur et son « personnage » (et oui, car il y a probablement la part de fantasme à prendre en compte : Jaenada ne voit-il pas en elle une sorte de miroir ?)
On ressent une douce mélancolie à force de lire, l'impression de n'être que des papillons, et que même ceux à la vie la plus extravagante seront archivés en un battement d'aile. Et la vie est moins plausible qu'un film surtout. En tout cas, il commente, annote, se marre, nous donne des coups de coudes dans les côtes, et c'est vraiment agréable de replonger dans le livre. (Je crois que le seul de la sélection qui m'ait fait cet effet, ce goût de reviens-y, c'est le voyant d'Etampes (d'ailleurs les deux narrateurs se ressemblent : homme d'une cinquantaine/soixantaine d'années, caustique, bonhomme, l'un est cependant Jaenada alors que l'autre est une créature de papier). Ce qui m'amène à une interrogation : est-ce que le récit de son travail de recherches est égal à un effort fictionnel ? Est-ce que ce n'est pas « facile » d'écrire sur un fait divers abracadabrantesque ? Eh bien, ma réponse, (c'est souvent ma réponse), c'est qu'on s'en fout. le livre est bien écrit, passionnant, et ces digressions, ces surgissements de l'auteur/narrateur sont originaux. La littérature est digression. La littérature peut être facilité : si la voix de l'auteur existe. Et quand on lit Jaenada, on ne peut que reconnaitre qu'on a rarement lu chose similaire.
La morale de l'histoire ?
1) Monsieur Jaenada, ce n'est pas gentil de se moquer des poèmes de Lucien Léger. Par exemple quand il parle de la mise sous camisole chimique de sa femme :
« Rien
Silence obtus
Rictus en plus
Et yeux hagards
Qui fixent le néant.
Des chercheurs ? »
Je ne sais pas vous, mais j'ai lu bien pire :D
2) Pour mon introduction, que j'ai laissé telle quelle (peut-être que j'ai été influencée par l'auteur, qui sait :D) : il est facile d'écrire une (semi)chronique sans avoir lu un livre. Je lis parfois des commentaires qui me disent « Je ne le lirai pas » quand « j'assassine » un roman. On peut être flatté, mais pour ma part, y a un malaise qui s'installe. Ce n'est pas ce que je veux. Lisez-le au contraire ! Ne vous fiez pas à nos avis, ce ne sont que des avis. Et parfois, parcellaires, et parfois factices. Bon, je perds sûrement de la crédibilité, mais ce n'est pas grave si cela vous amène à vous faire votre propre idée. Et surtout, (retournement de situation), lisez Au printemps des monstres : possiblement le Goncourt épisode 2 ! (édit non, et c'est bien dommage !)
Mon avis : Tuer le père
« Je ne pouvais plus échapper à mon histoire, sa vérité que j'avais trop longtemps différée. J'avais attendu non pas le bon moment, mais que ce ne soit plus le moment. Peine perdue. La mienne était toujours là, silencieuse, sans aucune douleur, elle exigeait d'être dite. J'ai espéré un déclenchement involontaire qui viendrait de cette peur surmontée d'elle-même. La peur n'est pas partie mais les mots sont revenus. »
Mon avis : Peut-être que je n'aurai pas du le lire juste après celui de C.Angot. Parce que je trouve que le style est assez ressemblant, (surtout au début) avec des phrases très courtes, très descriptives. Des actions qui s'enchaînent à l'instant t, et je me suis ennuyée. Je pense que l'autrice a voulu mettre en relief une certaine résignation, comment la vie perd ses couleurs dans ces cas-là, mais c'est trop inodore. Après, les mots sont bien choisis, je pense que le rapport à la mémoire et l'effacement est intéressant, mais je ne sais pas si c'est suffisant. En fait, comme je disais par rapport au livre d'Angot, à force de publications sur le même thème, il y a trop de redites. Et comme, en parallèle, il n'y a pas vraiment d'histoire, que l'intrigue est très resserrée sur le viol et la reconstruction difficile qui en résulte, je n'ai pas de sentiment de complétude comme pour le voyant d'Etampes ou Feu par exemple. Je pense que c'est le danger des autofictions : c'est trop unidimensionnel. Et donc, difficile, (alors que c'est le livre le plus court de la sélection) pour moi de le terminer. Pourtant, il y a des choses très justes, par exemple quand elle parle du statut de victime : « l'ennui avec ce mot-là c'est qu'il a vite fait de borner l'individu à des représentations négatives et souvent erronées : la soumission, les sanglots, l'abattement, l'hystérie, le charbon de la dépression. Pour certains, la victime n'est qu'une représentation de la femme dans sa traduction hyperbolique ». Les descriptions, passées le premier tiers, quand elles se concentrent sur la nature sont très belles, simples et pourtant poétiques ; c'est pour cette raison que je suis embêtée, je reconnais le talent, et pourtant, je n'ai pas été emportée. J'ai même été tentée d'abandonner, et c'est le premier de la sélection qui me fait cet effet. D'où ma note circonspecte et ma courte chronique. Possible aussi que ce soit la fatigue de lire autant en aussi peu de temps...Peut-être le dernier livre que je lis jusqu'au premier écrémage...
"J'ai fait comme s'il ne se passait rien. Je regardais le paysage devant moi. Les essuie-glaces couchés au bas de la vitre. La main allait et venait sur ma cuisse. Elle s'est déplacée vers le haut. J'ai été consciente de sa position à tout moment."
Mon avis : Dans un style télégraphique, C.Angot nous raconte à nouveau l'inceste qu'elle a subi. (J'ai lu cet été La littérature sans estomac de Pierre Jourde qui s'attarde sur son style, c'est assez caustique, je vous le conseille). Bref, je m'attendais à quelque chose de mauvais, et finalement je trouve que le style simple est plutôt efficace pour l'occasion. Même si à la longue, les phrases très courtes fatiguent et donne l'impression de lire un script. Vers la moitié, ça devient un « véritable » journal intime, et je me suis ennuyée. Alors pour comprendre, je me dis qu'il s'agit d'une reconstitution. On l'imagine sur son manuscrit à essayer de tirer les souvenirs, et c'est assez intéressant de pouvoir lire un canevas (ou du moins ce qui en donne l'illusion). Puis elle joue avec notre voyeurisme, dès le départ, elle donne, sans périphrase, sans euphémisme, et bon, ben, on fait les vierges effarouchées alors que c'est notre curiosité qui nous a amené à ouvrir le livre.
Universitaire alcoolique et fraîchement retraité, Jean Roscoff se lance dans l'écriture d'un livre pour se remettre en selle : Le voyant d'Étampes, essai sur un poète américain méconnu qui se tua au volant dans l'Essonne, au début des années 60. A priori, pas de quoi déchaîner la critique. Mais si son sujet était piégé ? Abel Quentin raconte la chute d'un anti-héros romantique et cynique, à l'ère des réseaux sociaux et des dérives identitaires. Et dresse, avec un humour délicieusement acide, le portrait d'une génération.
Mon avis : Un grand talent pour croquer les gens : en quelques mots, en quelques images, on voit tout à fait le genre de personne à qui on a affaire. le portrait qu'il fait de son éditrice/chroniqueuse est assez savoureux. Je vous laisse juger « Elle faisait la réclame en des termes choisis : les mots fables modernes, urbaines et électriques, sans concession, plume nerveuse, économies de moyens, récit choral, hymne à la vie, pudeur, apprivoiser sa douleur, mettre des mots sur l'indicible étaient régulièrement prononcés ». Il ajoute qu' « [elle]affichait une prédilection pour les livres qui témoignaient d'un traumatisme (inceste, accident de la route [...] l'idée étant qu'il est toujours indécent de critiquer formellement, je veux dire d'un point de vue littéraire, le récit d'une personne qui s'est faite amputer un bras. ». Un de mes prochains est celui de Christine Angot, on verra si la prophétie se réalise. le talent aussi dans l'autocritique de son héros : il est authentique, bien écrit. On sent la tendresse de l'auteur pour son personnage. Il me fait penser à Randy dans South Park (chacun ses références).
C'est l'histoire d'un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s'échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C'est l'histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l'aîné qui fusionne avec l'enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s'y attache, s'y abandonne et s'y perd. Celle de la cadette, en qui s'implante le dégoût et la colère, le rejet de l'enfant qui aspire la joie de ses parents et l'énergie de l'aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l'ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d'un présent hors de la mémoire.
Mon avis : Pour ceux que la langue très travaillée de M.Pourchet effraie, celui-ci est pour vous. Dans un style naturel, très touchant, C.Dupond-Monod tisse autour de cette famille une histoire tragique.
Mon avis : C'est possiblement le prix Goncourt 2021. le livre doit s'enrichir à la deuxième lecture, à la troisième, et ainsi de suite. On sent que tout ne nous est pas dévoilé. le début s'ouvre avec beaucoup de répétitions, qui donne une littérature clipesque (oui clipesque, je ne savais pas que c'était possible pour un livre) ; quelque chose d'épileptique, comme stroboscopique (surtout le point de vue de Clément, ce qui résume bien l'aliénation d'une journée de travail « Défense, badge, tourniquet, ascenseur, trente-cinquième étage, c'est quoi cette odeur. C'est moi, pas eu le temps de me laver, bienvenue dans la suite d'une journée à se défénestrer, bonjour Sybille, couloir, encore trente mètres pour atteindre l'Espace direction »). C'est donc une littérature de la fragmentation et du détail. Chaque phrase recèle une histoire en elle-même. Comme regarder dans un miroir brisé ce qui se reflète dans notre dos. On est déstabilisé par les phrases hachées, les changements brusques de cadre (moi, j'adore être perdue). On se sent un peu con parfois, comme quand on parle avec quelqu'un de plus intelligent, ou de plus cultivé, qui s'adresse pourtant à nous comme si on était au même niveau. On se sent dans la confidence, c'est précieux.
À la fin des années 50, dans la région des Aurès en Algérie, Naja élève seule ses trois filles depuis que son mari Saïd a été recruté pour travailler en France. Quelques années plus tard, devenu ouvrier spécialisé, il parvient à faire venir sa famille en région parisienne. Naja tombe enceinte, mais leurs conditions de vie ne permettent pas au couple d'envisager de garder l'enfant...
Mon avis : Déception. J'avais feuilleté il y a quelques temps l'Oeil du paon, son premier roman, il m'avait paru pas mal. Mais celui-ci... Je me demande ce qu'il fait chez Gallimard (quoique, ils me déçoivent régulièrement), et encore plus dans la sélection du Goncourt. On commence avec les gros points noirs pour nuancer un peu.
Yejide et Akin vivent une merveilleuse histoire d'amour. De leur coup de foudre à l'université jusqu'à leur mariage, tout s'est enchaîné. Pourtant, quatre ans plus tard, Yejide n'est toujours pas enceinte. Ils pourraient se contenter de leur amour si Akin, en tant que fils aîné, n'était tenu d'offrir un héritier à ses parents. Jusqu'au jour où une jeune femme apparaît sur le pas de la porte. La seconde épouse d'Akin. Celle qui lui donnera l'enfant tant désiré. Bouleversée, folle de jalousie, Yejide sait que la seule façon de sauver son mariage est d'avoir un bébé. Commence alors une longue et douloureuse quête de maternité qui exigera d'elle des sacrifices inimaginables.
Mon avis : Ce livre est parfait pour ceux qui ont apprécié les Impatientes mais sont restés sur leur faim. La situation initiale est un peu la même : la polygamie. Mais le traitement est différent et s'enrichit. Non seulement, est dépeinte la situation politique du Nigéria, en arrière-plan on voit les milices, les guerres civiles et les pustchs militaires. Mais surtout, au lieu de vouloir faire un « documentaire » sur trois femmes, et finalement rester en dehors d'elles et de leurs affects, ici on est en plein coeur d'une famille qui souffre de ce mal d'enfant. Yeijide, l'épouse dont l'émancipation ne peut que laisser un goût amer. (D'ailleurs, les gens qui l'auraient lu, ne l'avez-vous pas trouvé un peu... énervante ? Sur la fin notamment ? Mais n'en disons pas trop). Akin, le mari dévoué qui intériorise jusqu'au point de non-retour. le livre est captivant (et finalement, les Impatientes aussi l'était). Mais je peux regretter que la langue ne se dégourdisse pas les pattes. Elle reste simple, trop simple. Quant à la psychologie des personnages, elle m'a parfois déroutée. Certaines choses sont expliquées à la fin et permettent de mieux comprendre, cependant, j'aurais aimé qu'on aille encore plus profondément dans leur âme. Je vous le conseille tout de même, surtout pour ceux déçus du Prix Goncourt des lycéens de l'an dernier. J'ai beaucoup plus été aux côtés de Yeijide et Akin que ce ne fut le cas pour les Impatientes. Il y a aussi des contes nigérians dans le récit, ce qui est franchement chouette, et m'a fait découvrir une culture que je ne connaissais pas trop.
Mon avis : C'est un livre sur le renoncement. En le refermant, on ne peut s'empêcher d'avoir un goût amer. Iris s'émancipe d'un quotidien pesant, revit son adolescence dans les bras d'un ancien amant qu'elle surnomme sur son téléphone « Douleur » (d'où le titre) C'est donc le passé qui revient, insidieusement, douloureusement. En arrière-fond, est évoquée la Shoah, traumatisme originel. Je pense qu'on peut avoir une lecture symbolique : le passé avec Ethan représente une échappée par le fantasme, là où sa vie disloquée peut évoquer la situation de l'Israël et de la Palestine.
Angleterre, 30 mars 1924. Comme chaque année, les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu'ils aillent rendre visite à leur mère le temps d'un dimanche. Jane, la jeune femme de chambre des Niven, est orpheline et se trouve donc désœuvrée. Va-t-elle passer la journée à lire ? Va-t-elle parcourir la campagne à bicyclette en cette magnifique journée ? Jusqu'à ce que Paul Sheringham, un jeune homme de bonne famille et son amant de longue date, lui propose de le retrouver dans sa demeure désertée. Tous deux goûtent pour la dernière fois à leurs rendez-vous secrets, car Paul doit épouser la riche héritière Emma Hobday. Pour la première - et dernière - fois, Jane découvre la chambre de son amant ainsi que le reste de la maison. Elle la parcourt, nue, tandis que Paul part rejoindre sa fiancée. Ce dimanche des mères 1924 changera à jamais le cours de sa vie.
Mon avis : Attention, gros coup de coeur !
Mon avis : C'est une histoire de féminité à laquelle nous avons affaire, et à plusieurs voix. Natsu, d'abord, la tante et narratrice, dont le récit est entrecoupé par le journal intime de Midoriko, la fille de Makiko.
Mon avis : C'est un livre court, original et pudique que je viens de lire. La plupart de l'intrigue se situe après le viol. L'autrice joue avec les attentes du lecteur. Toutes ces digressions, ces tournages autour du pot nous renvoient notre voyeurisme en pleine gueule. C'est original parce que broder et se laisser happer par tout et n'importe quoi reproduit merveilleusement bien le cours enragé de la pensée. On comprend comment l'attention ne peut que se porter sur tout et n'importe quoi pour éviter le réel dans ce type de moment ; et c'est aussi terriblement prosaïque. On voit les réactions plus ou moins appropriées des policiers, les questionnements et remises en question même quand toutes les preuves sont là, même quand elle porte encore les stigmates de ce qu'elle a subi. On met en doute sa parole parce qu'elle est lesbienne et a invité un homme chez elle. On met en doute sa parole parce qu'elle est humaine et que tout n'est pas forcément explicable. On met en doute sa parole alors qu'elle pisse littéralement le sang, on met en doute sa parole alors qu'elle a des marques de strangulation, on met en doute sa parole alors qu'elle a fait tout ce qu'on dit de faire dans ces cas-là. On met en doute sa parole et on se demande ensuite pourquoi seulement quinze pour cent des femmes portent plainte. Un roman à lire.
Comment se « développer » quand on est sans cesse « enveloppé » par des coachs ? Comment le développement serait-il « personnel » quand guides et manuels s'adressent à chacun comme à tout autre ? La philosophe Julia de Funès fustige avec délectation les impostures d'une certaine psychologie positive.
Mon avis : Les coaches, Julia de Funés les décrit comme une après-midi coincée devant M6 (relooking, homestaging, médiation sexuelle et familiale). le noeud du problème se trouve dans le titre : comment aider une personne dans sa singularité, dans son unicité avec des mots destinés au plus grand nombre ? Dans un premier temps elle fait l'était des lieux ; elle tire à balles réelles (on ressent un peu de cruauté par moments, moi j'aime bien la cruauté, mais ça ne peut pas plaire à tout le monde). Dans un second temps, elle apporte des solutions au questions existentielles que se posent les lecteurs de ces livres. Et c'est intéressant, parce qu'elle utilise un ou plusieurs philosophes pour chaque problème particulier, (coïncidence avec le vrai soi ; voire même existence du soi, et bien d'autres questions). Pour qui je conseille ce livre ? Pour ceux qui aiment bien ricaner comme moi, mais surtout pour ceux qui aiment la philosophie. Si ce n'est pas votre tasse de thé, passez votre chemin (d'autant que la deuxième partie ressemble à deux heures en salle B12 un lundi après-midi).
Après une rupture amoureuse, Judith Duportail s'inscrit sur l'application de rencontre Tinder. Pluie de textos, dizaines d'hommes à ses pieds, ego boosté... Elle jubile. Jusqu'au jour où une information la scandalise : l'application délivre secrètement aux utilisateurs une note de « désirabilité » et les classe en exploitant leurs données personnelles. Autrement dit, Tinder décide pour eux, à leur insu. La journaliste prend alors le pas sur l'amoureuse. Elle se lance dans une recherche qui l'amène à plonger son intimité et dans les rouages des algorithmes... et découvre un document susceptible de faire trembler Tinder.
Mon avis : Bon sang de bon soir. J'ai été dure avec l'auteur de Sans alcool, je m'en rends compte en lisant ce livre. Parce qu'elle a réussi à lier enquête et « journal intime », avec une belle prose. On sent l'âme d'un écrivain, on lit un livre qui n'aurait rien à envier à d'autres romans. Ce n'est pas parfait, mais vraiment prometteur. Mais celui-ci... On reste dans le ton journalistique, avec tous les tics de langage qu'on entend à longueur de journée. Et c'est énervant, car on se demande pourquoi. Pourquoi ne pas trancher et faire un long article (car si l'on enlève tous les épisodes personnels, et les sources, il ne reste pas grand-chose), ou alors un journal, mais dans ce cas-là, travailler sa langue, nom d'une pipe en bois ! Sa vie, ses pérégrinations amoureuses sont plates, mais si plates qu'on pourrait tracer des lignes téléphoniques et rajouter des pigeons que ce serait moins plat. On est abreuvé de son manque de confiance avec l'impression de ressortir lessivé de l'appel d'une copine qui nous vide son sac dans les oreilles.
Dans la lignée d'une Lionel Shriver, un premier roman choc qui explore les rapports de domination au sein du couple et de l'amitié, les traumatismes subis dans l'enfance et le vice tapi derrière les apparences les plus lisses. S'appuyant sur une construction machiavélique, Michelle Sacks nous entraîne dans une spirale où chaque personnage révèle son double visage.
Mon avis : Faut-il lire La vie dont nous rêvions ? La réponse qui me vient spontanément à la bouche est un « meh » mou. le début est presque comique dans cette description de la parfaite ménagère, mais le problème, c'est que c'est too much. On n'y croit pas, et on le sent trop, que quelque chose va mal se passer. Dès le départ, le ton est donné, et donc les enjeux se dégonflent assez rapidement. L'autre principal problème dans ce manque de nuance, c'est la caractérisation. Tous les personnages sont trop méprisables pour qu'on soit réellement mal à l'aise. On ne peut s'attacher à aucun. Ni croire à grand-chose. le point de non-retour qui arrive vers le milieu aurait du être beaucoup plus glaçant, au lieu de quoi se met en place une enquête que Lili Rush de Cold Case n'aurait pas reniée. Même le mobile du coupable est finalement peu compréhensible, et concevable par moi-même. Non pas que je sois choquée, non, c'est vraiment que j'ai du mal à le comprendre, ce n'est pas très logique et me donne juste l'impression qu'on désirait un soubresaut de l'enquête à la fin du roman. Est-ce que j'ai détesté pour autant ? Non, je ne peux pas le dire non plus. Ce n'est pas foncièrement mauvais, peut-être pas très recherché dans l'écriture, mais efficace, et je pense que dans un thriller, c'est souvent ce que l'on recherche. Mais dans la dénonciation de la toxicité des relations entre femmes, mère-enfant, ou même dans un couple, j'ai trouvé que c'était trop grandiloquent pour y croire. Ce n'est pas assez insidieux. Un peu dommage, mais pas à regretter non plus. Si c'était à la télé, je zappouillerais paresseusement (ou plus probablement, je regarderais un autre épisode en mangeant des chips).
J'ai toujours cru que j'écrivais sur les hommes. Avant de m'apercevoir que je n'écris que sur les femmes. Sur le fait d'en être une. Écrire sur les putes, qui sont payées pour être des femmes, qui sont vraiment des femmes, qui ne sont que ça ; écrire sur la nudité absolue de cette condition, c'est comme examiner mon sexe sous un microscope. Et j'en éprouve la même fascination qu'un laborantin regardant des cellules essentielles à toute forme de vie.
Mon avis : Je vais immédiatement évacuer la question qui avait fait polémique à la sortie : est-ce que ce livre romantise trop la prostitution. Ma réponse : on s'en fout. Je ne suis ni pour ni contre l'abolition de la prostitution, je ne suis pas assez renseignée sur le sujet, j'ai entendu des avis des deux côtés très convaincants et la vérité, c'est que je n'ai aucune (mais aucune) opinion là-dessus, je ne suis pas qualifiée pour parler à leur place. Et c'est là où ça me fait grincer des dents : accuser ce livre de vendre une image d'Epinal de la prostitution, c'est faire taire une femme, et son ressenti. Emma Becker a vécu les choses de cette manière (loin de donner envie, ce qui est tout de même un comble quand on lit certaines critiques).
Enfant, Constance s'était fait une promesse : ne jamais enfermer sa grand-mère dans un hospice, ne pas la laisser dans la solitude de sa maison. Rester aux côtés de cette femme résolument moderne, féministe, bienveillante, courageuse, qui l'a élevée seule avec une dévotion et une compréhension infinies. N'a-t-elle pas couvert une fugue sur les pas de George Sand ? fermé les yeux sur ses frasques adolescentes ? confié que les femmes n'avaient pas besoin des hommes pour s'en sortir ? Il semble inconcevable de l'abandonner à l'aube de ses quatre-vingt-quatorze ans. Pourtant, pour la petite fille d'autrefois qui vit désormais sur un autre continent, il n'est pas si facile de respecter ses engagements...
Mon avis : La mort, (la fin si l'on veut faire dans l'euphémisme) c'est un sujet qui me parle. Qui nous parle, tous, je suppose, mais qui m'effraie particulièrement. Ici, les pires craintes sont confirmées. Car il ne s'agit pas que du point final d'une vie, mais avec celle-ci, parfois, de toute une branche de la famille. Comment les générations remplacent les générations, sans avoir, à la fin, plus aucun souvenir de la première. Et poussière redevient poussière, et la réassurance de persister dans les souvenirs de ses proches s'évapore. Et pourtant, ce n'est pas que ça, dans les Jours aimés. Car l'autrice nous parle aussi d'une France qui change. Cette fameuse France périphérique, semi-rurale, provinciale de fait, qui est dénaturée par des bâtiments sans âme, des ronds-points, des routes, des hyper interchangeables. La grand-mère chérie, la grand-mère à laquelle on n'arrive pas à dire au revoir, c'est aussi cette France-là. Je ne veux pas que vous croyiez qu'il ne s'agit que de tristesse, c'est aussi une tranche de vie belle, une tranche de vie réaliste, où l'amour et la joie transpire dans cette relation entre grand-mère et petite-fille. C'est un livre qui nous parle d'héritage, et qui montre la brutalité des semaines qui suivent. Les vêtements repassés qu'on retrouve dans une benne, les meubles échangés de générations en générations jusqu'à ce qu'on n'ait plus de place, la revente de la maison chérie pour avoir un pied-à-terre près de la mer, bref, ces petits marchandages terribles que chacun de nous peut faire, du moins intérieurement, manière peut-être, de marchander avec l'absence. Et enfin, c'est un livre qui parle de ce silence. le silence des derniers jours, quand la pudeur clôt les lèvres, mais voile les regards. Ces petites habitudes qui deviennent si délicates quand on ne sait combien de temps on pourra encore les faire. La dignité, la beauté. Réflexion sur la mémoire, et chant douloureux, pourtant magnifique, c'est un livre court qui avec une prose précise (féroce parfois), toujours belle, arrive à nous serrer la gorge doucement, tout doucement. Nostalgie, mélancolie, le bonheur d'être triste. Les crépuscules peuvent être majestueux.
Mon avis : J'ai bien aimé ce roman, même si au départ, le style, assez simple, m'a déroutée. Mais c'est assez logique, quand on part du postulat qu'il s'agit d'un roman « documentaire », et que les trois héroïnes ne vont donc pas parler comme dans un livre, puisqu'elles racontent leur histoire. Je vais commencer avec les quelques petits défauts, (qui selon moi, n'entachent pas non plus la lecture) pour aller vers les forces du roman. C'est un roman divertissant, (enfin, si l'on peut dire que lire tant de choses atroces qui arrivent à ces femmes peut être divertissant), dans le sens où il est assez difficile d'abandonner sa lecture quand on est bien lancé. Il y a quelque chose de presque envoutant dans la plume de l'autrice, on est captivés, et rien que pour ça, c'est selon moi une réussite. Mais ce que j'aurais aimé, c'est peut-être une narration qui mettrait ces trois voix en perspective, et aussi plus de thématiques. Parce qu'à part les violences conjugales, sociétales, voire religieuses que subissent ces trois femmes, il n'y a pas trop de choses à se mettre sous la dent. C'est déjà pas mal me direz-vous (et vous n'auriez pas tort !). Oui, et d'ailleurs, ça marche. Mais je pense que si le livre avait été plus long, il y aurait eu une possibilité d'enlisement de l'intrigue. Autre chose qui a pu parfois me sortir du livre, c'est le côté démonstratif, un peu scolaire des dialogues, qui manquent du coup de naturel à certains moments. Les personnages nous parlent à nous, et non pas aux autres personnages. Personne dans la vraie vie n'explique telle règle, tel fait, de cette manière. Chaque personnage a du mal à se différencier des autres dans sa façon de parler. Bref, ça manque un peu de vie à ce niveau-là. Et parallèlement, j'ai eu du mal à ressentir de l'émotion quand j'aurais dû, j'ai eu du mal à faire preuve d'empathie quand il le fallait, parce que j'avais du mal à les voir comme des « vrais gens ». Ce qui va de pair avec un certain manichéisme. Mais l'exergue du texte qui parle de faits réels peut balayer cette critique ; je ne doute pas que les choses se passent ainsi, et j'ai apprécié que le troisième récit apporte son lot d'ambivalence. Pour les points positifs, en plus de ce que j'ai dit sur l'aspect addictif du texte, c'est aussi le plaisir que j'ai eu à découvrir une autre culture que je ne connaissais pas du tout. On sent les choses, on a l'impression de faire partie de ces concessions, de ces familles qui se déchirent. J'ai particulièrement apprécié la scène avant le mariage, où Ramla est préparée. le fait qu'on ait ensuite le point de vue de Safira, sa coépouse était une vraie bonne idée. Bref, c'est un bon roman, je pense que vous l'apprécierez, et je vous le conseille, malgré mes petits pinaillages (on change pas une équipe qui gagne, n'est-ce pas !). Mais de là à dire qu'il est bouleversant... je ne sais pas...
Mon avis : J'ai eu beaucoup de mal avec ce roman. Il me fait penser à un film avec Sophie Marceau, un film qu'on regarde parce qu'on est obligé, à l'hôtel ou l'hôpital. Qui nous fait lever les yeux au ciel à cause des clichés (et ici, ils ne nous sont pas épargnés, avec en moyenne trois expressions toute faite par page). C'est un livre bénin, il ne fait pas de mal, je suppose qu'il doit faire du bien à quelques personnes, mais il n'apporte pas grand-chose. Alors, certes, la littérature feel-good, ce n'est pas trop mon truc, vous le savez. Je pense que pour éviter les critiques sévères et les heures perdues, je devrais m'abstenir. Mais en attendant, le mal est fait, donc on va essayer de secouer le tapis et voir ce qu'on trouve.
Blythe Connor n'a qu'une seule idée en tête : ne pas reproduire ce qu'elle a vécu. Lorsque sa fille, Violet, naît, elle sait qu'elle lui donnera tout l'amour qu'elle mérite. Tout l'amour dont sa propre mère l'a privée. Mais les nouveau-nés ne se révèlent pas forcément être le fantasme qu'on s'est imaginé. Violet est un bébé agité, qui ne sourit jamais. Très vite, Blythe se demande ce qui ne va pas. Ce qu'elle fait mal. Si le problème, c'est sa fille. Ou elle.
Mon avis : L'accroche que j'avais trouvé pour Fièvre de lait (Comment devenir mère quand on n'en a jamais eu ?) pourrait tout à fait coller à ce récit. Car le début m'y a fait penser, dans ces errements, ces tâtonnements d'une jeune femme qui apprend à être mère. Il y a quelque chose de très olfactif dans ses premières expériences : l'enfant qu'on pose comme une miche chaude sur le corps de sa mère, ce côté animal, aussi. Mais tout ne se passe pas comme il faut. Car c'est aussi un récit sur plusieurs générations : celui d'Etta, la grand-mère et sa trop grande « nervosité », et de Cecilia, la mère si impassible. Leur relation pourrissante. Et quand Blythe accouche d'une petite fille, elle surcompense peut-être pour ne pas rejouer la même pièce. Sauf que...
En France, on s'avoue rarement alcoolique. Quand on boit on est festif, irrévérent, drôle. Français. Un jour pourtant, Claire arrête de boire. Elle prend conscience que cet alcool, prétendument bon-vivant, est en vérité en train de ronger sa vie. Il noyaute ses journées, altère sa pensée, abîme ses relations. En retraçant son passé, elle découvre à quel point l'alcool a été le pilier de sa construction et de son personnage de femme. Sans alcool est le journal de son sevrage. Un chemin tortueux, parfois rocambolesque, à travers son intimité. Une quête de libération complexe, dans un pays qui sanctifie le pinard. L'autrice affronte son passé, l'héritage familial, le jugement des autres. Son récit interroge, au-delà de son expérience. Pourquoi boire est une telle norme sociale ? Alors qu'on lui a toujours vendu la sobriété comme le choix des cons et des culs bénis, elle réalise qu'on l'a sans doute flouée. Être sobre est bien plus subversif qu'elle ne l'imaginait.
Mon avis : La fête est plus folle ?
Mon avis : On assiste à la décrépitude d'un couple, un peu comme dans un film de Bergman, où l'on sait pourquoi on veut partir, mais l'on ne sait plus pourquoi on reste. Finalement, c'est dans toute la famille que le poison s'instille car vers la moitié du roman, l'intrigue prend une tournure à la We need to talk about Kevin (très bon film, que je vous conseille d'ailleurs). Un retour du refoulé à rebours (en même temps, c'est le but), et la haine qu'on cache sous le tapis revient dans le sourire factice d'un enfant. C'est aussi le miroir d'une France fragmentée. Les griffures que Valentine s'inflige, les inquiétudes que François tait à coup de rationalisation surgissent à la surface comme autant de dissonances dans ce couple. Car comment concilier deux visions aussi opposées, aussi différentes ? Comment survivre autrement qu'en se dissolvant dans cette unité aux yeux des autres ? Ou quand le couple ne peut plus parler :« Rien qu'un désintérêt pour toute profondeur, pour tout questionnement n'ayant pas trait à l'heure du repas, au programme du ciné. », qui emblématise aussi comment des dialogues toujours plus stériles, toujours plus dissociés de la réalité du plus grand nombre finit par creuser des fossés infranchissables. Une prose précise, presque des aphorismes, qui étonne par leur sagesse. On a cette impression que M.Metayer a vécu au moins trois vies pour observer aussi bien les tics, les petits rituels de chacun. Ce qui est intelligent, c'est aussi cette construction en oeillères. La focalisation dans tel personnage empêche l'empathie à l'instant T avec l'autre. Ce qui fait que leur incommunicabilité est renforcée et que tout ce qui peut nous sembler déplaisant à nous lecteurs, (la mollesse de François, la froideur de Valentine) sera balayé quelques chapitres plus loin. Bref, un très bon roman, que je ne peux que vous conseiller !
Le 25 mars 1993, Élisabeth Wagner, bientôt majeure, entre dans le cabinet d'une psychiatre renommée. Elle vient y poser un carnet violet, sachant qu'il y aura des retombées. À son histoire s'ajoutent celles de trois autres femmes dont les vies sont en lien avec la sienne. Les voix de sa mère, de sa psychiatre et de sa meilleure amie s'entremêlent, de 1958 à 2006, racontant l'après-guerre, les hommes, les lâches, les fourbes, les héros, décrivant des femmes, blessées, fortes, rebelles. Il est question ici d'incidences, de folie, de pouvoir, d'un parcours de vie sans cesse détourné. Ce roman, construit comme un puzzle, dresse le portrait de femmes dont les sensibilités exacerbées donnent au monde une lumière presque magique.
Mon avis : Boris Cyrulnik, en parlant des traumatismes, indique qu'on retrouve dans les gênes d'un petit primate ceux que sa mère aurait vécu. Bon, il le dit mieux que ça, mais vous voyez l'idée. le roman le bruit et la mémoire parle de cela. On y suit les destins entrecroisés de plusieurs femmes, et comment les souffrances communiquent, se répondent.