Martin John, un délinquant sexuel, a été envoyé à Londres par sa mère pour échapper aux autorités. Depuis, il doit naviguer seul dans cette ville hostile où tout conspire à le faire dévier de la routine implacable et absurde à laquelle il s'est astreint. Le piège semble se refermer sur lui alors qu'un agaçant chambreur, sans doute un espion envoyé par la police, fait irruption dans sa vie.

Comme une partition musicale ou un encéphalogramme, ce roman singulier emprunte les rythmes sinueux de la paranoïa du protagoniste et la rigidité de son esprit obsédé. Finaliste au Giller Prize, Martin John a connu un succès populaire et critique exceptionnel dans le monde anglo-saxon

Mon avis : L'histoire suit le réseau du métro de Londres, mais aussi des règles arbitraires qui résultent, on le comprend rapidement, du cerveau de Martin John. De quoi souffre-t-il ? Difficile à dire, il passe du coq-à-l'âne, est très rigide sur certaines choses (haine des mots avec la lettre P, fascination pour l'Eurovision), répète des phrases (un peu comme des stéréotypies), devise avec des personnes qui semblent issues de son imagination (Conscience Chauve, Gary,..et même sa mère, ce qui peut faire penser à Psychose d'Hitchcock, ou à Split De M.Night Shyamalan). Mais là où c'est encore plus intéressant qu'une redite sur la folie, c'est qu'au lieu d'avoir affaire à un regard extérieur, on est dans la tête du personnage, et ça reproduit l'emberlificotage de son esprit : est-ce réel ? Pourquoi ne nous dit-on pas tout ? Pourquoi cloisonne-t-on certaines informations ? (ce qui peut faire réfléchir d'ailleurs au rôle du narrateur, qui nous ballade finalement dans chaque livre et distille des indices...)

C'est aussi un livre sur la misère sexuelle, Martin John, on voit que ça l'obsède et que ça lui fait peur à la fois. Il peut faire penser au personnage dans Eraserhead, le bébé-tête-d'agneau en moins. Il erre dans un décor désincarné, avec des protagonistes hostiles et étranges (pour ceux qui semblent exister), et des représentations encore plus étranges dans sa tête. Et le seul sens qu'il peut trouver, c'est comme un nouveau-né, les sensations que son corps ou les autres peuvent lui procurer (c'est un pervers polymorphe dirait Freud, oui oui, c'est ce qu'il dit des enfants). Donc d'un côté, c'est aussi dur de lui en vouloir, je ne le sens pas responsable, et même à plusieurs reprises, je me suis demandé s'il n'y aurait pas un twist qui en ferait un enfant... La relation à la mère (encore une fois, si elle existe) est aussi intéressante : on se rend compte au fur et à mesure qu'elle aussi souffre de petites manies, qui empiètent de plus en plus sur elle. Au début, ça m'a fait penser qu'en terme de problèmes psychiatriques, (j'avais lu ça il y a quelques temps, donc je ne sais pas si c'est dit tel quel), il y a parfois chez les parents des signes atténués de la maladie de l'enfant... Mais la fin apporte d'autres interprétations ( et bon sang, sur la dissolution du moi, j'ai rarement lu aussi radical). Donc c'est une autre réussite du livre, à côté de cette distorsion du réel, il y a des choses très prosaïques, très réalistes, ce qui donne vraiment cette impression d'une vision fragmentée du monde.

Au début, pour nous lecteurs, ça manque de générosité. Passé l'excitation de l'originalité, ne rien comprendre et tirer sur des fils préalablement découpés par l'auteur, c'est très frustrant. Mais petit à petit, le nœud commence à se faire sentir, et le livre devient difficile à lâcher. L'une des grandes forces de ce roman, c'est que dans un premier temps, on éprouve surtout de la pitié pour Martin John. On passe sous silence ce qu'il a fait, donc on a l'impression d'être avant tout face à une personne qui a des problèmes psychiatriques. Mais au bout d'un moment, on ne peut qu'être mal à l'aise. C'est sale et glauque, il commence à nous détailler ses agressions, son exhibitionnisme. Le narrateur nous parle d'une chose, et on s'aperçoit soudainement que Martin John se paluche dans une salle commune de son hôpital psychiatrique, parfois le narrateur nous met directement en garde (et même ce narrateur, on se demande si ce n'est pas Martin John, avec ses rituels qui reviennent, sa paranoïa).... La narration est disloquée, lacunaire, on n'a que ce qu'il veut bien nous dire, parfois il ne veut pas, alors on avance, on avance, puis il revient en arrière. Cette attente s'étire, grâce aux indices dissimulés le long des pages et la tension monte. Et immanquablement la peur qui en découle : est-ce que je vais être récompensé de mâchouiller cette histoire ? Est-ce que je ne vais pas ressentir un tout ça pour ça à la fin ? La conclusion est comme le début : elle redevient hermétique. On peut faire des suppositions, mais nos questionnements ne seront pas résolus. Donc c'est un peu frustrant, mais c'est un livre que je vous conseille, quand même, parce que je trouve la narration vraiment couillue de rester aussi perturbante et déroutante. Mais il faut aimer ce qui est cryptique.

Le meurtre de George Floyd en mai 2020 a inspiré à Louis-Philippe Dalembert l'écriture de cet ample et bouleversant roman. Mais c'est la vie de son héros, une figure imaginaire prénommée Emmett - comme Emmett Till, un adolescent assassiné par des racistes du Sud en 1955 -, qu'il va mettre en scène, la vie d'un gamin des ghettos noirs que son talent pour le football américain promettait à un riche avenir. 

Mon avis : Je n'aime pas juger une intrigue (je suis d'avis que l'auteur écrit ce qu'il veut, à partir du moment où c'est bien fait), MAIS (Vous la sentez venir ma grosse prétérition ?), je trouve difficile de s'attaquer à des sujets de société, car le risque est de s'effacer derrière eux, et ici c'est le cas. J'ai un peu la même impression qu'avec Soleil amer, celle de ne pas lire un roman, mais une sorte d'article romancé. (il n'y a pas d'ambiance, pas de description. On a l'impression de toujours être en mouvement, de ne jamais se poser pour instaurer quelque chose. Certes, au départ, ce sont des personnages qui racontent, ce serait étrange qu'ils décrivent ce qu'ils voient, mais la narration passe à la 3ème personne à la moitié, et c'est la même chose). Un autre problème, c'est qu'il y a encore beaucoup de clichés littéraires (beaucoup beaucoup beaucoup, même, entre un et trois par phrase, je ne vais pas les relever comme pour L.Hassaine, vous voyez l'idée). Alors, certes bis, ici, la différence, c'est que c'est les personnages qui parlent (donc ils n'ont pas à se soucier de la langue, a priori). Mais dans ce cas-là, pourquoi utilisent-ils des expressions françaises « à côté de ses pompes », « haute comme trois pommes » « saoul comme un cochon », etc ? Ça brise l'illusion romanesque ! C'est comme par exemple quand tous les personnages allemands parlent en anglais dans un film sur la deuxième guerre mondiale... Pareil avec l'image de l'albatros qui revient plusieurs fois. C'est une référence française, pas américaine (il y a aussi la madeleine de Proust, mais celle-ci s'est exportée me semble-t-il). Les différents protagonistes ont les mêmes tics de langage, « qui pis est » par exemple. Ça donne à ces voix censées être différentes un côté très artificiel, l'épicier parle comme l'ami qui fait le con, l'amie d'enfance parle comme l'ex, l'instit' comme l'étudiante. C'est dommage parce que la pluralité de voix est une bonne idée. Mais je ne vois pas leur unicité.
J'ai l'impression de traverser l'Amérique que je connais, qu'on connait tous à cause de la pop culture : American dream impossible, guerre du Vietnam, Woodstock, Angela Davis, les ghettos, la drogue, le campus,j'ai l'impression d'être devant le générique d'un biopic en route pour les oscars. Ici, je trouve les situations très stéréotypées : l'épicier d'origine pakistanaise, le « poulet Kentucky », la pauvreté avec seul le sport universitaire comme issue pour les personnes noires. Comment il perd sa couleur devant le succès, difficulté de couple mixte (O.J. Simpson ou Tiger Woods). Je sais que c'est une réalité... Mais je vois dans la littérature la possibilité d'ouvrir d'autres portes... (et de créer de nouveaux stéréotypes sur le long terme, mais c'est une autre question :D) Donc c'est dommage de voguer de stéréotypes en stéréotypes, ça donne un peu l'impression d'être bloqué devant 3-4 épisodes de Cold Case (PS : changer mes références).
Pareil, certains passages sont maladroits, par exemple quand l'étudiante parle de ses camarades « habillées comme des travailleuses du sexe », je veux bien qu'elle ait tellement intégré le slutshaming qu'elle le perpétue, mais ça ne colle pas, ça ne lui ressemble pas, puisqu'elle a l'air assez féministe quelques pages plus loin. Ou quand l'amie d'enfance évoque le concept de « angry black woman », je trouve que c'est mal intégré dans le texte, comme si on voulait à tout prix l'y inclure, mais sans le travailler. Ça ne suffit pas de le dire, encore faut-il le mettre en scène, sinon, ça fait pot-pourri, ou grille de bingo. Et quand je vois la bibliographie à la fin, je me demande si ce n'est pas le risque de faire trop de recherches, le côté exposé...
Et puis, cet homme que tout le monde aime, dont les filles sont amoureuses, les institutrices fières, ben il m'ennuie. Y a pas de crasse, rien à gratter, (et comme on sait dès le départ comment ça va terminer, y a pas énormément d'enjeux...).
Pour revenir à ce que je disais, je pense que c'est le souci d'écrire des livres trop dans l'actualité : on ne prend pas de recul, on ne peut être que dans l'hagiographie (au pire) ou la contextualisation (au mieux), on laisse la fiction de côté. On ne peut pas essayer d'expliquer (l'écrivain est un avocat). Et en tant que lectrice (et en tant qu'autrice), j'aimerais lire des livres qui me mettent mal à l'aise : ça aurait pu être intéressant quand il prend le point de vue du flic, de nous le rendre compréhensible, qu'on embrasse notre noirceur, qu'on soit choqué, qu'on se questionne (« est-ce que je serais capable de faire ça ? et pourquoi oui, et pourquoi non ? »), il y aurait eu plus de prise de conscience je pense que d'en faire un con raciste et sexiste. Ou de faire d'Emmet un salaud. La police ne devrait pas tuer, point. Ça aurait pu être bien. Ici, on se donne bonne conscience, moi je lis ce en quoi je crois, mais du coup, je m'ennuie, je ronronne.

En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l'inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s'engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l'Argentine, quelle vérité l'attend au centre de ce labyrinthe ?

Mon avis :  Périlleux de résumer ce livre, l'auteur dit souvent qu'il déteste la question « de quoi ça parle ? », j'ai peur de commettre un sacrilège. Disons pour faire simple que c'est la quête d'un jeune auteur, qui part sur les traces d'un livre introuvable, le labyrinthe de l'inhumain, de T.C Elimane, auteur qui n'a laissé presque aucun indice sur sa route. Ce faisant, il va croiser le chemin d'autres personnes qui vont lui raconter leur vie (et dans leur récit, d'autres personnes racontent aussi leur vie, il y a un enchâssement de récits). Et donc, c'est un peu la métaphore de la littérature, ou de l'art plus généralement, ce chemin qui se démultiplie. Et c'est en même temps une vision désabusée du sort qu'on réserve à l'art : « Mais chercher la littérature, c'est toujours poursuivre une illusion. Chercher la littérature, c'est chercher la merde ». On voit que le narrateur se sent comme une bête d'un ancien temps, avec ses compagnons de plume, qu'il sent l'absurdité de parler des heures de l'art quand dehors, ce n'est plus le temps, ni l'envie, il sent la futilité (et en même temps cette futilité irrigue toute sa vie). C'est aussi un livre sur la question noire, qu'est-ce qu'être un écrivain noir en France, selon les époques : être ramené à sa couleur autant dans les années 30 que de nos jours (le fait d'être décrit comme « une étoile montante » aussi réducteur que le « Rimbaud nègre» qu'on assigne à T.C Elimane en son temps. D'ailleurs, on montre à un moment la difficulté de briller, de « devenir des savants dans la culture qui a dominé et brutalisé la leur ».) Et cette impossibilité, (et ce désir qui se perpétue) c'est ça, la plus secrète mémoire des hommes.

Il y a quelque chose des mythique aussi dans ce roman. le mythe orphique avec l'histoire du père de Siga et de Mossane : son échec à la ramener vers lui rappelle celui d'Orphée à ramener Eurydice dans le monde des vivants. D'ailleurs, elle reste coincée dans cette entre-deux, cette terre qui gronde, qui palpite ( c'est peut-être là où le roman m'a moins plu, j'ai plus de mal avec les récits allégoriques, d'en saisir les enjeux, de marchander avec leur apparente simplicité. J'ai préféré les moments dans le présent. ) Et là où c'est assez fort, c'est que le narrateur semble anticiper cette impression plus loin dans le livre, en parlant d'une lettre qu'a laissé T.C. Elimane « c'est de la merde crypto-symboliste. C'est une mystagogie risible, une parodie de mauvais goût d'un prophète ou de Maître Eckhart ou d'un charlatan évangéliste congolais [...] ». Et on lui répond « Tu dis ça, parce que tu ne comprends pas, ou pire, parce que tu crois comprendre sans savoir ce que tu crois comprendre. [...] ça peut te sembler merdique, ou hermétique, mais chaque phrase ici dit quelque chose de précis. Même sous une forme ambigüe et chiffrée. ».
On ne sait pas ce qu'on lit ! Parfois, on se demande si on n'est pas en train de lire ce Labyrinthe de l'inhumain, cette « oeuvre avec des fragments de celles des autres. » et l'auteur « un génie du collage ». Il y a toute une réflexion sur l'innutrition, sur le plagiat.
L'auteur aspire à une littérature qui transcende l'intelligence et l'émotion. Est-ce le cas dans La plus secrète mémoire des hommes ? C'est un livre intelligent, on n'en doute pas, mais je ne me suis pas sentie impliquée. Je suis le cheminent de Diégane, cette quête impossible, on traverse le temps et l'espace, les voix, surtout, c'est un livre qui appelle à notre intelligence (je pressens des sens que je ne saisis pas à la première lecture). D'un autre côté, je ne ressentais pas grand-chose, pas d'engagement envers les personnages, trop fragmentés (peut-être trop dans l'exposition aussi, trop dans le récit). Autre raison possible : le fait que le livre se découpe en plusieurs « histoires » (avec les mêmes personnages, mais souvent un point de vue différent) : c'est la même sensation que passer d'un rêve à l'autre, ou de se réveiller soudainement (avec la part de frustration, et la difficulté de replonger aussi facilement dans le récit). C'est souvent bien à la moitié de chaque histoire qu'on comprend en quoi elles se recoupent (on ressent du plaisir à ce moment-là, et peu après, on est extirpé vers autre chose). le livre nait, meurt, se réincarne sans cesse, c'est sa force et sa faiblesse (poétesse du dimanche, z'avez vu), et pour cette raison, il faut le lire.

A quoi ressemble une vie ? Pour la narratrice, à une déclaration d'amour entre deux enfants de quatre ans, pendant une classe de musique.
Ou à leur rencontre en plein hiver, quarante ans plus tard, dans une rue de Paris.
On pourrait aussi évoquer un rock'n'roll acrobatique, la mort d'une mère, une exposition d'art contemporain, un mariage pour rire, une journée d'été à la campagne ou la vie secrète d'un gigolo.

Mon avis : Ce roman est très bien écrit, (c'est difficile d'ailleurs, d'expliquer en quoi un livre est bien écrit. Mal écrit, c'est simple, bien écrit, c'est plus compliqué. Je pense que c'est dans l'association d'idées éloignées, dans le tissage régulier avec quelques fausses notes qu'on peut trouver la beauté ). Chaque phrase, chaque idée recèle une pièce du puzzle. Il n'y a pas de nœud (de fil rouge), plus des réseaux d'intrigues qui se rejoignent parfois (comme la vie, en fait), mais pas toujours. Si j'ai mis un certain temps à me sentir impliquée, c'est parce qu'on ne saisit pas immédiatement de quoi on veut nous parler. C'est diffus, c'est comme des pensées trop abstraites pour être expliquées.
Ce qui est intéressant, c'est ces prolepses : on va toujours de l'avant (quitte à taire l'entre-deux). Et ça donne la même impression étrange que quand parfois on est dans sa chambre, et qu'on se dit « ah tiens, c'est vrai, ma commode était là il y a un an », comme si le passé se superposait en accéléré au présent. (le père qui devient soudainement aveugle, par exemple, le mariage, tout à coup, ça reproduit vraiment cette plasticité du temps). Et parallèlement, on assiste aussi à la fragilité du destin : le champ de tous les possibles qui se referme, comme un carrefour bouché, comme voir tous les chemins qu'elle n'a pas empruntés.
Il y a quelque chose d'évanescent, de fondu, c'est comme un bonbon sur la langue. Je suis touchée, sans réussir à comprendre pourquoi (et je pense que c'est la grande réussite du roman. On ne peut pas le réduire à une thématique, à une intrigue). Mais d'un autre côté, c'est aussi le défaut majeur. Parce que quand l'on dévie trop, on ne sait plus trop ce qu'on lit. J'ai ressenti une frustration au début et à la fin (la boucle est bouclée au moins :D). Donc un livre à lire, surtout si vous aimez la littérature-aquarelle (quand ça bave et dépasse).

Quand il n'est pas sur un ring à boxer, Max Le Corre est chauffeur pour le maire de la ville. Il est surtout le père de Laura qui, du haut de ses vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui. Alors Max se dit que ce serait une bonne idée si le maire pouvait l'aider à trouver un logement.

Mon avis :  Seul un problème me vient en tête. Ce n'est pas un problème majeur, ça n'empêche pas de lire le livre, mais en fait, le texte est assez classique, sauf parfois, on ne sait pas trop pourquoi ou il y a un mot qui casse tout le rythme (c'est original, ça oui, je ne vais pas dire l'inverse, mais je ne chaussure comprends pas le sens de certaines phrases.) Alors, certes, j'ai dit que la littérature c'est (oui, j'aime bien définir la littérature apparemment, c'est jamais la même définition d'ailleurs), que la littérature, donc, c'est relire une phrase sans en saisir le sens dans un premier temps, soulever le nez et savourer. Mais là, j'en saisis pas le sens, j'ai l'impression qu'on a mis un mot en plein milieu par maniérisme, y a prise de risque comme ils disent dans top chef (Le Goncourt est soit-dit en passant le top chef littéraire, Abel Quentin « je vais partir sur une cuisson au wok(e) », Michel Sarran qui pète un plomb devant les candidats « le roman social, c'est l'émotion, nom de dieu ! ») . Bref, je m'égare, ici est-ce que ça paye ? Est-ce que ça paye...Et bien un peu quand même. Il y a une sorte de manifeste dans la manière dont la fille veut raconter son histoire : « cette manière un peu digressive, un peu désaffectée aussi, qu'elle avait de raconter son histoire, comme si elle ne lui appartenait pas vraiment, comme si elle se regardait elle-même la raconter sans qu'à aucun moment, non, elle n'ait cherché à les prendre par les sentiments - sa manière à elle, finiraient-ils par comprendre, d'y parvenir ». Nous sommes les flics, nous butons de moins en moins devant les mots, les phrases parfois tordues, on s'habitue, et puis on trouve ça pas mauvais, en fin de compte.

Parfois des pichenettes comme l'abus de comme « comme ainsi dire », « comme s'il voulait », « comme qui s'engage », on comprend l'effet de style : on fait des suppositions, on ne veut pas faire des allégations fermes... mais n'empêche qu'en le lisant, on a juste l'impression d'un tic de langage désagréable...
Mais je trouve que les images qu'il trouve sont assez efficaces et bien trouvées « Et c'est à croire que ça l'a vexé, le plus ancien des deux, le plus amer, peut-être ou bien le plus blasé qui continuait de se tenir debout dans le contre-jour de la fenêtre, en tout cas, c'est sorti comme une flèche directement soufflée de la sarbacane qu'il avait jusqu'alors cachée derrière ses lèvres ». Bref c'est joli, bien écrit, mais parfois, on a l'impression qu'il se regarde écrire (ce qui fait une drôle d'impression quand soi-même on aime se regarder écrire, c'est comme quand on reconnait son propre défaut chez quelqu'un, c'est entre le déni et la complaisance : « Non mais c'est autant poussé chez moi ? Puis de toute façon, y a pire, hein ? »)
Le fond maintenant : eh bien, à part certains moments où j'ai trouvé que le style ne convenait pas à la quasi-naïveté de certaines affirmations, (Les relations de pouvoir/ de domination, les slutshaming, il enfonce un peu des portes ouvertes.), j'ai trouvé que c'était un livre sympa (oui c'est le pire adjectif du monde, mais je n'en ai pas d'autre : ça veut dire que je n'ai pas adoré mais que je trouve qu'il y a des qualités et que ce serait injuste de ne pas le dire). On voit d'un côté le maire, du haut de son bureau qui surplombe la ville, avec les vitres des bureaux ou de la voiture qui donnent un côté série française (Bonjour le Baron noir), et qui symbolisent, je ne sais pas, l'enfermement du pulsionnel, qui sort justement quand y a plus de vitres ? (Mais un velux ! Attends quoique si y a un velux, c'est qu'il y a encore enfermement, sauf si on l'ouvre, auquel cas, alors... D'ailleurs, elle l'ouvre après l'agression. Bref il doit y avoir une symbolique) le puissant, proche de milieu de la nuit pas toujours très net (chose qu'on a déjà vu/lu mais qui n'est pas mal traité), la relation entre son père et elle. J'ai trouvé qu'elle avait une certaine profondeur aussi, elle n'est pas que victime, et c'est assez bien de ne pas en avoir fait une oie blanche. Après, ça reprend l'histoire de Darmanin, et je ne sais pas si c'est justifié de baisser autant l'âge de la fille (et de creuser le fossé entre les deux). Je ressens une petite gêne de ce point de vue, parce que ce qu'a fait Darmanin craint déjà assez, pas la peine d'en rajouter (ça va juste permettre à ses soutiens de dire que c'est que du flan). D'un autre côté, c'est la liberté de l'auteur de prendre justement des libertés avec le réel (et d'éviter d'éventuelles poursuites, je suppose).
Bref, pour le style, vous pouvez le lire, mais encore une œuvre qu'on peut vider de sa moelle à première lecture (ce n'est pas le genre de livre qu'on va relire)

Ce n'est pas de la tarte à résumer, cette histoire. Il faut procéder calmement. C'est une histoire vraie, comme on dit. Un garçon de onze ans est enlevé à Paris un soir du printemps 1964. Luc Taron. (Si vous préférez la découvrir dans le livre, l'histoire, ne lisez pas la suite : stop !) On retrouve son corps le lendemain dans une forêt de banlieue. Il a été assassiné sans raison apparente. Pendant plus d'un mois, un enragé inonde les médias et la police de lettres de revendication démentes, signées « L'Étrangleur» ...

Mon avis : C'est une lecture qui se fait au microscope ou chaque piste étale ses ramifications jusqu'à en devenir quelque peu rébarbative. J'ai la sensation d'avoir travaillé le livre au corps, et si au début, j'aimais bien cette sensation, je me sens vidée et avec la sensation d'y voir de moins en moins clair ; c'est dommage, car en gagnant en concision, le livre aurait pu être un coup de coeur. On lit une sorte de compte rendu de police ultra détaillé ; si l'un des suspects a été verbalisé parce qu'il n'a pas ramassé la crotte de son chien (bon, là, c'est un anachronisme), vous le saurez. Mais je ressens un haut-le cœur, entre deux émerveillements - et il faut dire que cette impression est assez intéressante en soi. On se sent petit face à l'œuvre, perdu face aux phrases qui deviennent tentaculaires. Donc, je vous le conseille malgré tout.
Fin de la chronique ?
C'est ce que j'ai écrit à un huitième du livre environ. Lassée, prête à abandonner (mais quand même, j'avais lu beaucoup de pages, je ne pouvais pas passer outre sans rien écrire !), j'allais mentir sans trop de scrupules et faire croire que je l'avais terminé, allez zou, prochain livre. Et mon compagnon m'a tiré les bretelles. « C'est pas honnête pour les gens qui te lisent ! ». C'est pas honnête, c'est pas honnête, j't'en foutrais du c'est pas honnête. Piquée, j'ai continué, d'abord en soufflant beaucoup d'air froid par les narines, puis de moins en moins, puis mince, il est dur à lâcher ce livre. J'aime bien être amenée à dépasser ma propre médiocrité, car les amis, la rencontre s'est faite.
Au début, c'est un relevé objectif des faits - mais on s'aperçoit au fur et à mesure que c'est une preuve que l'objectivité n'existe pas. Lui-même perçoit au bout de ses recherches l'impossibilité de découvrir une vérité optimale. « (chercher inlassablement, bêtement, une vérité précise qu'on ne trouvera jamais : ras le pompon) » On s'interroge aussi sur le romanesque. Jaenada a-t-il mis les faits bout à bout, dans un souci d'authenticité ? Rien n'est moins sûr. C'est comme une blague, il connait la chute, et prend le plaisir d'appuyer sur tel fait, tel absurdité pour que la fin n'en soit que plus agréable. (en tout cas, c'est l'impression que j'en ai : il maltraite parfois les « personnages » dès le début, Taron, Salce,etc... parce que qu'il connait déjà leurs méfaits). Il faut que l'illusion romanesque existe, et donc, on se demande parfois, comme devant une série aux multiples cliffhangers jusqu'où ça va nous mener. Et puis le livre donne sacrément envie de se plonger dans l'enquête de Jean-Louis Ivani et Stéphane Troplain (Le voleur de crimes : l'affaire Léger, 2012).Au début, on regarde notre montre, puis à la fin, c'est elle qui nous regarde. le monde y est petit : on y croise Modiano, l'actrice Douchka, Maurice Papon, le réalisateur Molinaro, Michel Drucker et le Pen jeunes (oui, c'est possible).. Jaenada aurait dû être flic (son double comique Delarue s'en prend plein la pomme, et d'un côté, quand l'auteur voit dans les textes de Salce une preuve d'un passé pas très clair, on se demande s'il ne s'inspire pas de l'inspecteur. Mais je lui pardonne pour les éclats de rire causés, quelques pages plus loin, par l'épluchage du dossier de demande de déporté-résistant du même Salce :D). Ce qui est chouette aussi, c'est la construction narrative : d'abord les victimes (Luc et Lucien, ces deux frères dans l'ombre), puis les méchants (les infâmes Taron et Salce), et enfin celle qui est peut-être la véritable héroïne : Solange ( d'où la couverture). Elle est victime de son époque, la pauvre Solange, internée pour ce qui ressemble à des crises d'angoisse, obligée de divorcer pour ne pas subir l'opprobre... Et pourtant légère, amusante, même. On sent la connexion entre l'auteur et son « personnage » (et oui, car il y a probablement la part de fantasme à prendre en compte : Jaenada ne voit-il pas en elle une sorte de miroir ?)
On ressent une douce mélancolie à force de lire, l'impression de n'être que des papillons, et que même ceux à la vie la plus extravagante seront archivés en un battement d'aile. Et la vie est moins plausible qu'un film surtout. En tout cas, il commente, annote, se marre, nous donne des coups de coudes dans les côtes, et c'est vraiment agréable de replonger dans le livre. (Je crois que le seul de la sélection qui m'ait fait cet effet, ce goût de reviens-y, c'est le voyant d'Etampes (d'ailleurs les deux narrateurs se ressemblent : homme d'une cinquantaine/soixantaine d'années, caustique, bonhomme, l'un est cependant Jaenada alors que l'autre est une créature de papier). Ce qui m'amène à une interrogation : est-ce que le récit de son travail de recherches est égal à un effort fictionnel ? Est-ce que ce n'est pas « facile » d'écrire sur un fait divers abracadabrantesque ? Eh bien, ma réponse, (c'est souvent ma réponse), c'est qu'on s'en fout. le livre est bien écrit, passionnant, et ces digressions, ces surgissements de l'auteur/narrateur sont originaux. La littérature est digression. La littérature peut être facilité : si la voix de l'auteur existe. Et quand on lit Jaenada, on ne peut que reconnaitre qu'on a rarement lu chose similaire.
La morale de l'histoire ?
1) Monsieur Jaenada, ce n'est pas gentil de se moquer des poèmes de Lucien Léger. Par exemple quand il parle de la mise sous camisole chimique de sa femme :
« Rien
Silence obtus
Rictus en plus
Et yeux hagards
Qui fixent le néant.
Des chercheurs ? »
Je ne sais pas vous, mais j'ai lu bien pire :D
2) Pour mon introduction, que j'ai laissé telle quelle (peut-être que j'ai été influencée par l'auteur, qui sait :D) : il est facile d'écrire une (semi)chronique sans avoir lu un livre. Je lis parfois des commentaires qui me disent « Je ne le lirai pas » quand « j'assassine » un roman. On peut être flatté, mais pour ma part, y a un malaise qui s'installe. Ce n'est pas ce que je veux. Lisez-le au contraire ! Ne vous fiez pas à nos avis, ce ne sont que des avis. Et parfois, parcellaires, et parfois factices. Bon, je perds sûrement de la crédibilité, mais ce n'est pas grave si cela vous amène à vous faire votre propre idée. Et surtout, (retournement de situation), lisez Au printemps des monstres : possiblement le Goncourt épisode 2 ! (édit non, et c'est bien dommage !)

Depuis l'enfance, une question torture le narrateur :
- Qu'as-tu fait sous l'occupation ?
Mais il n'a jamais osé la poser à son père.
Parce qu'il est imprévisible, ce père. Violent, fantasque. Certains même, le disent fou. Longtemps, il a bercé son fils de ses exploits de Résistant, jusqu'au jour où le grand-père de l'enfant s'est emporté : «Ton père portait l'uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud ! »

Mon avis :  Tuer le père

La parole du père est omniprésente, et empiète sur celle du narrateur, en tout cas au début, jusqu'à ce que le rapport de force change. D'ailleurs, à ce sujet, le discours indirect libre souligne encore plus ce surgissement du père : même quand la narration revient à la normale, il trouve le moyen de s'immiscer.
Ce père aux idées détestables, le pire, c'est que je ne l'ai pas détesté. C'est vraiment étrange, parce que je ne pense pas que l'auteur veut nous le rendre agréable, il veut même plutôt l'inverse, (le mec se délecte quand même des sorties de Klaus Barbie à son procès), et pourtant, son côté pathétique me l'a rendu humain. Assez grotesque. Enfin, disons que sa propension à emmerder son monde me rappelle l'attitude d'un petit vieux raciste, et par conséquent, on ressent un peu de malaise, parce que le livre n'est pas une comédie. Ce que je peux regretter, c'est qu'il y a parfois une inadéquation entre le ressenti de l'auteur/narrateur, et du lecteur : le sentiment de trahison qu'il éprouve envers son père m'a paru lointain, la haine aussi, par conséquent, je me demande si c'est toujours bien traité. En fait, on ressent les choses quand les « témoins » du procès racontent ce qu'ils ont vécu, la torture, l'humiliation. Et pourtant... Je ne fais pas toujours le lien avec le relation avec son père. Je ressens le ressentiment, la haine de l'auteur, sans avoir le lien, la clé, comme s'il manquait quelque chose. Comme si le traitement de leur relation était parcellaire. Et on ne nous décrit pas les conséquences de ses actes. Donc on a juste l'impression que c'est un jeune mythomane de 22 ans au moment des faits. Pas au même niveau que les tortures et les déportations de K.Barbie. Et c'est sûr que les comparaisons avec les vrais résistants sont forcément peu flatteuses. C'est ce qu'il dit d'ailleurs, vers la fin, quand il explique qu'il aurait pu pardonner si son père lui avait avoué. Bref, le jugement moral est trop prononcé, et personnellement, je préfère me faire ma propre idée, je n'aime pas trop quand on me surligne ce que je dois penser.
Histoire et histoire(s)
Le sujet, l'Histoire et l'intime qui se mélangent est prometteur, et j'ai lu le premier tiers avec un grand intérêt. « Je venais de faire entrer le procès de mon père dans la salle d'audience qui jugeait Klaus Barbie. La petite histoire et la grande rassemblées. » Malheureusement, mon enthousiasme s'est affadi. L'un des problèmes du livre, c'est que la forme, assez circulaire, s'enlise au bout d'un moment. La construction : découverte sur le père/procès de Klaus Barbie/discussion avec le père, qui se répète à l'envi devient lassante. Les passages des recherches sur le père m'ont paru très longues, et laborieuses. Et comme j'ai dit plus tôt, j'ai l'impression que les noeuds des histoires (nationale et intime) s'emmêlent, que la première sert de moyen à délayer la deuxième qui bégaie trop à mon goût. Les deux ne collent pas aussi bien que ce que l'auteur semble vouloir nous dire. A la fin, le bruit, l'épique (ou du moins, ce qu'on est censés ressentir) et pourtant, pour moi, plutôt, l'inachevé. Dans la même idée, les scènes de confrontation finales avec le père sont très répétitives, et manquent de force. Autre point négatif : le personnage du narrateur/auteur n'est pas assez approfondi. Il est le fils et le journaliste, la caméra dans l'histoire. Mais rien d'autre. Et ça aurait pu être une bonne idée de le développer pour qu'on éprouve plus d'empathie pour lui. Autre remarque : le roman souffre du White room syndrome. ( Il n'y a pas de décors, pas d'ambiance, on a l'impression que les personnages interagissent dans une pièce vide). Et dernière pour la route, des répétitions lexicales, comme le verbe « se masser » par exemple. Résultat : à part lors du procès, j'ai trouvé le livre emphatique au lieu d'émouvant et je l'ai laissé trainé un certain temps avant de me décider à le terminer. 

« Je ne pouvais plus échapper à mon histoire, sa vérité que j'avais trop longtemps différée. J'avais attendu non pas le bon moment, mais que ce ne soit plus le moment. Peine perdue. La mienne était toujours là, silencieuse, sans aucune douleur, elle exigeait d'être dite. J'ai espéré un déclenchement involontaire qui viendrait de cette peur surmontée d'elle-même. La peur n'est pas partie mais les mots sont revenus. »

Mon avis : Peut-être que je n'aurai pas du le lire juste après celui de C.Angot. Parce que je trouve que le style est assez ressemblant, (surtout au début) avec des phrases très courtes, très descriptives. Des actions qui s'enchaînent à l'instant t, et je me suis ennuyée. Je pense que l'autrice a voulu mettre en relief une certaine résignation, comment la vie perd ses couleurs dans ces cas-là, mais c'est trop inodore. Après, les mots sont bien choisis, je pense que le rapport à la mémoire et l'effacement est intéressant, mais je ne sais pas si c'est suffisant. En fait, comme je disais par rapport au livre d'Angot, à force de publications sur le même thème, il y a trop de redites. Et comme, en parallèle, il n'y a pas vraiment d'histoire, que l'intrigue est très resserrée sur le viol et la reconstruction difficile qui en résulte, je n'ai pas de sentiment de complétude comme pour le voyant d'Etampes ou Feu par exemple. Je pense que c'est le danger des autofictions : c'est trop unidimensionnel. Et donc, difficile, (alors que c'est le livre le plus court de la sélection) pour moi de le terminer. Pourtant, il y a des choses très justes, par exemple quand elle parle du statut de victime : « l'ennui avec ce mot-là c'est qu'il a vite fait de borner l'individu à des représentations négatives et souvent erronées : la soumission, les sanglots, l'abattement, l'hystérie, le charbon de la dépression. Pour certains, la victime n'est qu'une représentation de la femme dans sa traduction hyperbolique ». Les descriptions, passées le premier tiers, quand elles se concentrent sur la nature sont très belles, simples et pourtant poétiques ; c'est pour cette raison que je suis embêtée, je reconnais le talent, et pourtant, je n'ai pas été emportée. J'ai même été tentée d'abandonner, et c'est le premier de la sélection qui me fait cet effet. D'où ma note circonspecte et ma courte chronique. Possible aussi que ce soit la fatigue de lire autant en aussi peu de temps...Peut-être le dernier livre que je lis jusqu'au premier écrémage...

"J'ai fait comme s'il ne se passait rien. Je regardais le paysage devant moi. Les essuie-glaces couchés au bas de la vitre. La main allait et venait sur ma cuisse. Elle s'est déplacée vers le haut. J'ai été consciente de sa position à tout moment."

Mon avis : Dans un style télégraphique, C.Angot nous raconte à nouveau l'inceste qu'elle a subi. (J'ai lu cet été La littérature sans estomac de Pierre Jourde qui s'attarde sur son style, c'est assez caustique, je vous le conseille). Bref, je m'attendais à quelque chose de mauvais, et finalement je trouve que le style simple est plutôt efficace pour l'occasion. Même si à la longue, les phrases très courtes fatiguent et donne l'impression de lire un script. Vers la moitié, ça devient un « véritable » journal intime, et je me suis ennuyée. Alors pour comprendre, je me dis qu'il s'agit d'une reconstitution. On l'imagine sur son manuscrit à essayer de tirer les souvenirs, et c'est assez intéressant de pouvoir lire un canevas (ou du moins ce qui en donne l'illusion). Puis elle joue avec notre voyeurisme, dès le départ, elle donne, sans périphrase, sans euphémisme, et bon, ben, on fait les vierges effarouchées alors que c'est notre curiosité qui nous a amené à ouvrir le livre.

Il y a donc ce pacte d'authenticité, avec le dialogue qui ouvre le « récit » et puis la répétition de « je crois », qui nous montre que ce ne sera peut-être pas l'entière vérité, mais au moins qu'elle va essayer. Ce qui est bien aussi, c'est qu'elle nous flanque notre nez dans notre propre malaise. Je me suis souvent fait la remarque « j'ai pas envie de lire ça, moi... ». Un peu comme les proches qui se bouchent les oreilles. On ne transige pas avec l'inceste, c'est ce qu'elle nous montre. C'est sale, c'est glauque, ça met mal à l'aise, on veut passer à autre chose. Elle vomit sa souffrance sur nous, on ressent quelque chose (que je n'avais pas forcément ressenti dans les autres autofictions sur le même sujet).
Est-ce que ça dépasse le témoignage pour autant ? Pas vraiment. C'est encore une sorte d'enquête. le problème (ce que j'ai pu trouver aussi dans le consentement ou La familia grande), c'est qu'à la littérature se substitue le discours. Angot parle par-dessus Angot, et c'est là où ça perd de l'intérêt. le déroulé comme elle le fait est suffisamment glaçant (oui, désolée, je n'ai pas d'autre mot, je sais qu'on l'entend partout pour qualifier ce livre), pas la peine d'expliquer sociologiquement l'inceste. C'est comme si (je vais prendre Zola, faut que je me remette aux classiques un peu), dans l'Assommoir, il entrecoupait le récit pour expliquer les tenants et aboutissants de l'alcoolisme. Expliquer, en littérature c'est échouer. Ou du moins, avoir peur d'échouer. Ça ressemble à un nouveau sous-genre, pas documentaire vraiment, pas journal intime non plus, un peu hybride, (on peut penser au podcast « Ou peut-être une nuit » : épisodique, quelques souvenirs, puis recontextualisation, comme pour gonfler le nombre de pages (ce sont souvent des romans déjà courts à la base). On s'inspire des autres médias, on glane ci et là des concepts sur l'écrabouillement par exemple dans le cas de l'inceste, ou l'emprise. Bref, cette forme mi-figue mi-raisin ne me plait pas vraiment, parce qu'il y a beaucoup de redites. Et le style est trop anémique. Lisez à haute voix, vous verrez. Il n'y a pas de rythme, pas de mélodie ; le but est sans doute d'être raccord avec le sujet, de ne pas le rendre « beau » ou « agréable ». Mais je trouve que par exemple, Gabriel Tallent avec My absolute darling, a réussi à rendre ce malaise, sans négocier avec la langue. Donc, voilà, il y a des choses intéressantes, je pense voir où elle veut nous amener, mais j'ai pas trop envie d'y aller.

  

Universitaire alcoolique et fraîchement retraité, Jean Roscoff se lance dans l'écriture d'un livre pour se remettre en selle : Le voyant d'Étampes, essai sur un poète américain méconnu qui se tua au volant dans l'Essonne, au début des années 60. A priori, pas de quoi déchaîner la critique. Mais si son sujet était piégé ? Abel Quentin raconte la chute d'un anti-héros romantique et cynique, à l'ère des réseaux sociaux et des dérives identitaires. Et dresse, avec un humour délicieusement acide, le portrait d'une génération.

Mon avis :  Un grand talent pour croquer les gens : en quelques mots, en quelques images, on voit tout à fait le genre de personne à qui on a affaire. le portrait qu'il fait de son éditrice/chroniqueuse est assez savoureux. Je vous laisse juger « Elle faisait la réclame en des termes choisis : les mots fables modernes, urbaines et électriques, sans concession, plume nerveuse, économies de moyens, récit choral, hymne à la vie, pudeur, apprivoiser sa douleur, mettre des mots sur l'indicible étaient régulièrement prononcés ». Il ajoute qu' « [elle]affichait une prédilection pour les livres qui témoignaient d'un traumatisme (inceste, accident de la route [...] l'idée étant qu'il est toujours indécent de critiquer formellement, je veux dire d'un point de vue littéraire, le récit d'une personne qui s'est faite amputer un bras. ». Un de mes prochains est celui de Christine Angot, on verra si la prophétie se réalise. le talent aussi dans l'autocritique de son héros : il est authentique, bien écrit. On sent la tendresse de l'auteur pour son personnage. Il me fait penser à Randy dans South Park (chacun ses références).

La recherche de Jean excède le simple travail biographique. Il y a quelque chose de fantasmé dans cette vision du poète perdu qu'est Robert Willow, figure masculine voire paternelle. Manière d'apprivoiser la vieillesse et l'oubli, manière d'apprivoiser sa propre désuétude. Et je trouve les analepses assez géniales, la manière dont elles se télescopent les unes dans les autres. Qu'un souvenir en appelle un autre, dans des digressions réjouissantes.
Puis la dissonance, la fausse-note : l'intervention du blogueur au visage allongé. Qui met un terme à son insouciance. Dans sa biographie, Roscoff ne s'attarde pas sur le fait que Robert Willow soit noir. Sacrilège !
Et donc l'incommunicabilité de ces deux générations (trois si on compte celle du père). La nouvelle torpille l'ancienne (qui en son temps faisait de même), sans ciller devant le sang. Jeanne, la copine de sa fille le traite plus ou moins de connard d'universaliste. Ses proches le lâchent, et bien sûr, il reçoit les mauvais soutiens. (L'ironie ultime, c'est que le roman est aujourd'hui encensé par Causeur, comme celui de Roscoff dans le récit : enchâssement de la fiction dans la vraie vie ou l'inverse ?) Voir les différents niveaux, les dialogues imaginaires entre vieilles universitaires américaines et Aminata Diao (la reconnaitrez-vous ?), qui martèlent, ajoutent, annotent pour donner vie à ce privilège blanc que le narrateur peine à concevoir. Appropriation culturelle, écriture inclusive, fragilité blanche, et tous ces nouveaux chevaux de bataille (comme l'était son engagement à SOS racisme en son temps) seront-ils éculés dans quelques années ? Où se situons nous ? de fait, je suis heureuse que la voix du livre soit celle d'un ni/ni. Et même d'une personne qui vit autant dans sa tête que dans le réel. Puis on est sur le cul (et indigné) en même temps que lui : « Mon Robert Willow existait ; je ne l'avais pas inventé. Je l'avais compris intimement, et des types qui avaient appris son existence en ouvrant mon bouquin prétendaient me faire la leçon ». Je l'aime bien, c'est un personnage quasi christique, crucifié sur la place publique, trahi par ses amis, c'est difficile de ne pas d'identifier à lui. Et il a fait la marche des beurs, putain !
La seule chose que je peux regretter parfois, sont les facilités au niveau de la langue. D'ailleurs, je dois préciser ma pensée pour les clichés : ici aussi, on a le teint cireux et les voitures sont flambant neuves (je n'ai pas pu m'empêcher de sourire en le lisant, je devrais faire une grille de bingo peut-être). Mais la différence avec Soleil amer, c'est que le reste ne l'est pas, cliché. Les personnages sont vivants, on lève la tête de temps en temps en se disant, et oui, j'en connais un de comme ça (l'agent immobilier et son langage stéphaneplazesque). Pourquoi les clichés ne sont pas souhaitables ? Parce qu'ils n'évoquent plus rien (pense-t-on encore à de la cire pour le teint ?), et par conséquent entravent le dialogue entre l'auteur et le lecteur. Quand par exemple il écrit « il se tient droit comme un i », on peut tout à fait enlever le « comme un «i », sans ratiboiser la compréhension de la phrase. Quoiqu'il en soit, ici, la pensée est suffisamment fine pour que ça ne torpille pas le roman. de plus, le constat qu'il fait de la société est vraiment pertinent. Par ignorance et croyance, on abat (du moins, symboliquement) des auteurs, des artistes, des intellectuels. Et l'âme humaine est lâche, on baisse les yeux (au mieux), on se mêle à la meute (au pire). Et la dissolution de l'être derrière l'identité. A vivre en vase clos, on devient extrême. C'est pour cette raison que malgré les rares inégalités du style, les quelques maladresses (on peut par exemple se demander comment cela se fait qu'il ait été aussi peu au fait de la mouvance woke étant universitaire. Peut-être pour montrer un cloisonnement, l'entre-soi hors sol ?), j'ai beaucoup aimé. Difficile même, de le refermer, avec ce final étonnant. Je vous le recommande !

C'est l'histoire d'un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s'échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C'est l'histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l'aîné qui fusionne avec l'enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s'y attache, s'y abandonne et s'y perd. Celle de la cadette, en qui s'implante le dégoût et la colère, le rejet de l'enfant qui aspire la joie de ses parents et l'énergie de l'aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l'ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d'un présent hors de la mémoire. 

Mon avis : Pour ceux que la langue très travaillée de M.Pourchet effraie, celui-ci est pour vous. Dans un style naturel, très touchant, C.Dupond-Monod tisse autour de cette famille une histoire tragique.

Le début commence comme un conte, une histoire millénaire qui parle à notre inconscient collectif. On nomme l'enfant, « l'enfant », l'aîné, « l'aîné », comme on dirait la princesse ou le petit poucet. le roman est découpé selon le point de vue des enfants, le plus grand d'abord, la cadette, puis le dernier. Ce qui est original, c'est que ce sont les pierres de la vallée qui racontent, donc leur point de vue est forcément parcellaire. Et le fait d'avoir ces différentes voix permet de traiter des différentes manières le handicap. L'abnégation pour l'aîné, la colère pour la cadette « Elle habitait un monde de végétal et de végétatif, les deux se confondaient, un monde d'arbres et d'enfant couché. », la possibilité d'une reconstruction avec le dernier.
Le livre parle avec ce dernier point de vue de transmission, de la manière dont on survit dans les mots, dans les habitudes des autres. Les deux premiers tiers sont très durs, le dernier est lumineux et apporte une touche d'espoir bienvenue. Quand on lit la fin, on a cette sensation de complétude, de boucle bouclée, d'apaisement (peut-être comme les personnages au même moment). Ce qui est bien, c'est qu'on commence avec le pire, mais que l'histoire s'adoucit (comme le temps qui passe). La dernière partie les montre cabossés, mais ils ont su s'adapter (d'où le titre).
Le langage de la nature
Cette nature cruelle qui condamne l'enfant, mais qui regorge de sources d'émerveillement pour lui et ses frères et soeurs. Ces pierres qui parlent, ces montagnes protectrices, évoquent l'animisme. On est à hauteur d'enfant, et on se concentre sur l'infiniment petit, sur l'essentiel : « C'était un langage de sens, de l'infime, une science du silence, quelque chose qu'on n'enseignait nulle part ailleurs. A enfant hors norme, savoir hors norme, pensait l'aîné. »
En très peu de pages, notre coeur se serre. On pense à la fameuse phrase que la légende attribue à Hemingway «À vendre : souliers de bébé, jamais portés». Ici, c'est aussi de cet ordre. La perte, le deuil, la peur, la colère, tant d'émotions qui nous prennent à la gorge au fil des pages.
Comme je disais dans un commentaire pour Feu, j'hésite pour l'instant entre ces deux romans. le style ou l'émotion ? Difficile de trancher. Pour l'instant, j'ai donné de l'avance à celui de M.Pourchet car je n'ai jamais lu une écriture semblable, mais si S'adapter gagnait le prix, je n'en serais pas étonnée non plus.


Au gré d'un roman sur la passion, Feu photographie une époque. Où les hommes ne sachant plus quelle représentation d'eux-mêmes habiter, pourraient renoncer. Où les femmes pourraient ne pas se remettre de l'incessant combat qu'elles doivent mener pour être mieux aimées. Où les enfants, nés débiteurs, s'organisent déjà pour ne pas rembourser.
Alternant les points de vue des deux personnages dans une langue nerveuse et acérée, Maria Pourchet nous offre un roman vif, puissant et drôle sur l'amour, cette affaire effroyablement plus sérieuse et plus dangereuse qu'on ne le croit.

Mon avis : C'est possiblement le prix Goncourt 2021. le livre doit s'enrichir à la deuxième lecture, à la troisième, et ainsi de suite. On sent que tout ne nous est pas dévoilé. le début s'ouvre avec beaucoup de répétitions, qui donne une littérature clipesque (oui clipesque, je ne savais pas que c'était possible pour un livre) ; quelque chose d'épileptique, comme stroboscopique (surtout le point de vue de Clément, ce qui résume bien l'aliénation d'une journée de travail « Défense, badge, tourniquet, ascenseur, trente-cinquième étage, c'est quoi cette odeur. C'est moi, pas eu le temps de me laver, bienvenue dans la suite d'une journée à se défénestrer, bonjour Sybille, couloir, encore trente mètres pour atteindre l'Espace direction »). C'est donc une littérature de la fragmentation et du détail. Chaque phrase recèle une histoire en elle-même. Comme regarder dans un miroir brisé ce qui se reflète dans notre dos. On est déstabilisé par les phrases hachées, les changements brusques de cadre (moi, j'adore être perdue). On se sent un peu con parfois, comme quand on parle avec quelqu'un de plus intelligent, ou de plus cultivé, qui s'adresse pourtant à nous comme si on était au même niveau. On se sent dans la confidence, c'est précieux.

La narration se dédouble. D'abord, le tu quand c'est le point de vue de Laure, qu'on peine à situer. On comprend qu'elle se parle à elle-même, c'est le tu dédaigneux que seuls nous-mêmes pouvons nous adresser. Et on s'aperçoit vers un tiers du livre que Clément aussi s'adresse à un « tu », qui n'est pas Laure. Et immanquablement, on se demande si ces deux « tu » vont se rejoindre. Quand on comprend qui est ce « tu » canin, un sourire ne peut s'empêcher de poindre sur nos lèvres. Un témoin muet, incapable de juger. le meilleur ami qu'on puisse avoir. Ce qui est intéressant, dans ce jeu de point de vue, c'est que l'autre parvient à voler des vérités qu'on se cache à soi-même, et même parfois, à esquisser un portrait plus juste, plus équitable. Clément est cynique quand il parle de son chien, Laure nous apprend qu'il l'a recueilli dans une gare. Ce confident symbolise bien leur relation : Clément se dépeint comme un salaud, là où Laure le perçoit avec plus de tendresse. le tu et le je se confondent et nous éclairent sur ce jeu de dupes qu'on met tous en place : le récit qu'on se raconte sur nos propres vies.
Ça me fait penser à une oeuvre : car, comme les histoires d'amour, en général, finissent mal, le ton s'aggrave. J'ai pensé tout simplement (et si vous me connaissez un peu, vous saurez le compliment que je fais à l'autrice) à Solal et Ariane dans Belle du Seigneur. Surtout ces points de vue qui alternent, ces phrases fragmentées (qui parle ? à qui ?) ; et Clément, qui travaille dans la finance (notre ennemi à tous devant l'éternel), qui décoche flèche après flèche contre les babouineries de ceux qui l'entourent (et les siennes propres). Et Ariane/Laure, la beauté de l'essoufflement : « Premier acte, aucun baiser sur tes cheveux parfumés, aucun regard croisant le tien. Tandis que l'avant-dernier Médicis insulte sa race de dégénérés, tu souffles je t'aime, trois fois. Et lui :
- Oui.
Comme on dit chut. »
Donc un très bon cru, que je vous recommande.

À la fin des années 50, dans la région des Aurès en Algérie, Naja élève seule ses trois filles depuis que son mari Saïd a été recruté pour travailler en France. Quelques années plus tard, devenu ouvrier spécialisé, il parvient à faire venir sa famille en région parisienne. Naja tombe enceinte, mais leurs conditions de vie ne permettent pas au couple d'envisager de garder l'enfant...

Mon avis :  Déception. J'avais feuilleté il y a quelques temps l'Oeil du paon, son premier roman, il m'avait paru pas mal. Mais celui-ci... Je me demande ce qu'il fait chez Gallimard (quoique, ils me déçoivent régulièrement), et encore plus dans la sélection du Goncourt. On commence avec les gros points noirs pour nuancer un peu.

Donc, déjà, la langue. Elle est utilitaire, la plupart du temps. Avec Lilia Hassaine, on a le teint cireux, on empeste l'alcool, on s'ennuie ferme, on est (souvent) suspendu aux lèvres, on arpente les rues, les voitures sont flambant neuves, on ressent une colère sourde, on rase les murs (avec Gillette ?) (bref vous avez compris, je vais pas tous vous les faire)...
Il y a beaucoup de clichés littéraires, mais si ce n'était que ça.. le fond aussi n'est qu'une esquisse grossière de ce que cela aurait pu être :l'Algérie fantasmée ressemble à une carte postale, (d'ailleurs ça aussi c'est un cliché : inception des clichés ?). On a souvent droit à des aphorismes simplistes. Par exemple, quand elle parle du deuil, elle dit "Au départ, on se représente la belle vie que le défunt a eue, on témoigne, on discourt, on pose. Mais quelques jours plus tard, il n'y a plus que la solitude et le manque". Ah, je croyais qu'après on écoutait « libertine » du Mylène Farmer, mince alors. Quand elle parle de l'immigration "Le projet des premiers HLM, c'était l'utopie du vivre ensemble, cette idée selon laquelle on mélangeait les cultures et les milieux sociaux.", on se demande si on ne lit pas le devoir d'un élève de troisième. Eh, elle risque pas de se mouiller, c'est sûr, mais bon, on lit un livre (pardon un roman) pas un article de Géo Ado. Attendez ne partez pas ! le pauvre Saïd (enfin, pauvre, vous voyez..), ben il est immigré, et qui dit immigré dit que « dans le regard des Français, il était l'immigré ; en Algérie, il s'en était aperçu au mariage de Maryam (mariage forcé de sa fille sinon, c'est pas drôle, hein, faudrait pas éviter les poncifs), il était aussi devenu l'immigré ». L'eau ça mouille, le feu, ça...Sans parler des impairs journalistiques, par exemple le mot « schizophrénie » pour parler d'une dualité. (je croyais qu'on la faisait plus depuis 2016, celle-là). On abime le « mobilier urbain » (IKEA : mobilier périphérique)
Les redondances et autres pléonasmes "Elle vit, regardant la lumière du soleil, le visage d'Eve". Ou encore « il claudiquait péniblement » (ah, je croyais qu'on claudiquait gaiement pourtant).
Bref, le gros problème, c'est que c'est une « oeuvre » impersonnelle. Rien ne se crée dans ma tête, parce que tout a déjà été dit. Autant d'émotion que devant un reportage. Elle aurait pu s'approprier ce sujet, en faire quelque chose d'inédit : une odeur étonnante, un comportement suffisamment imprécis pour qu'on soit troublé. Non, les personnages sont définissables par un ou deux adjectifs. Et pis c'est tout. Puis la lourdeur d'expliquer la symbolique de la chèvre de M. Seguin, quoi... Pareil, pour Gilbert, expliciter ce qu'il s'est passé avec Amir... Ben on avait compris, et je trouvais ça positif qu'elle mette sous silence (mais non, quelques pages plus tard, on sort le gros stabilo qui tache...)Bon, maintenant, les points « positifs ».
Trois paragraphes sont bien écrits : le passage de Daniel et son grand-père, quand Nour découche avec son petit ami, quand Naja se rappelle sa mère. Ça fait 3-4 pages dans le livre. Je suis un peu dure. Disons que le récit gagne en intensité dans le dernier tiers, quand on se concentre sur la rivalité fraternelle (On peut y voir une relecture d'Abel et Caïn, sauf que c'est pas Caïn qui tue Abel, mais le destin. D'ailleurs Daniel mate sa soeur, quand Caïn embarque l'une des siennes pour l'épouser...Coïncidence ?). Mais même ces passages un peu plus prenant ne sont pas très bien écrits. C'est donc selon moi une ébauche de roman plus qu'un roman (Je pense qu'il aurait fallu gonfler ce dernier quart pour en faire la véritable histoire, et ne pas survoler le futur de chaque personnage, ce qui donne une impression de long épilogue).Dernier point positif : L.Hassaine a l'intelligence de laisser évoluer ses personnages sans trop de jugement. le point de vue est omniscient, objectif. On peut y trouver une certaine froideur (certains chroniqueurs trouvent qu'on a du mal à éprouver de l'empathie pour eux). Je pense que ça vient du problème d'impersonnalité dit plus haut : si elle avait mis un peu d'elle dans les descriptions ou les personnages, le point de vue serait passé crème. Pour ma part, je trouve ça assez bien, de pas nous dire « tiens, lui c'est le méchant/ tiens, elle, elle est mystérieuse » : elle dépasse par exemple Delphine de Vigan sur ce point. Bon, le livre est quand même raté. Et finalement ce style simpliste, cette absence de style, même, n'existe-t-elle pas pour satisfaire le public, avide de textes qui « se lisent bien », au style « fluide », des « pépites » qui n'en sont plus vraiment tant elles pullulent ?
Donc le soleil est amer, ouais. Mais pas pour les bonnes raisons.

Yejide et Akin vivent une merveilleuse histoire d'amour. De leur coup de foudre à l'université jusqu'à leur mariage, tout s'est enchaîné. Pourtant, quatre ans plus tard, Yejide n'est toujours pas enceinte. Ils pourraient se contenter de leur amour si Akin, en tant que fils aîné, n'était tenu d'offrir un héritier à ses parents. Jusqu'au jour où une jeune femme apparaît sur le pas de la porte. La seconde épouse d'Akin. Celle qui lui donnera l'enfant tant désiré. Bouleversée, folle de jalousie, Yejide sait que la seule façon de sauver son mariage est d'avoir un bébé. Commence alors une longue et douloureuse quête de maternité qui exigera d'elle des sacrifices inimaginables.

Mon avis :  Ce livre est parfait pour ceux qui ont apprécié les Impatientes mais sont restés sur leur faim. La situation initiale est un peu la même : la polygamie. Mais le traitement est différent et s'enrichit. Non seulement, est dépeinte la situation politique du Nigéria, en arrière-plan on voit les milices, les guerres civiles et les pustchs militaires. Mais surtout, au lieu de vouloir faire un « documentaire » sur trois femmes, et finalement rester en dehors d'elles et de leurs affects, ici on est en plein coeur d'une famille qui souffre de ce mal d'enfant. Yeijide, l'épouse dont l'émancipation ne peut que laisser un goût amer. (D'ailleurs, les gens qui l'auraient lu, ne l'avez-vous pas trouvé un peu... énervante ? Sur la fin notamment ? Mais n'en disons pas trop). Akin, le mari dévoué qui intériorise jusqu'au point de non-retour. le livre est captivant (et finalement, les Impatientes aussi l'était). Mais je peux regretter que la langue ne se dégourdisse pas les pattes. Elle reste simple, trop simple. Quant à la psychologie des personnages, elle m'a parfois déroutée. Certaines choses sont expliquées à la fin et permettent de mieux comprendre, cependant, j'aurais aimé qu'on aille encore plus profondément dans leur âme. Je vous le conseille tout de même, surtout pour ceux déçus du Prix Goncourt des lycéens de l'an dernier. J'ai beaucoup plus été aux côtés de Yeijide et Akin que ce ne fut le cas pour les Impatientes. Il y a aussi des contes nigérians dans le récit, ce qui est franchement chouette, et m'a fait découvrir une culture que je ne connaissais pas trop.

Dix ans après avoir été blessée dans un attentat, Iris semble avoir surmonté le traumatisme. Malgré des douleurs persistantes, des problèmes avec ses enfants et un mariage de plus en plus fragile, la directrice d'école ambitieuse et la mère de famille engagée qu'elle est s'efforce de prouver qu'elle contrôle la situation. Tout bascule cependant le jour où elle reconnaît, sous les traits d'un médecin qu'elle consulte, Ethan, son premier amour, qui l'avait brutalement quittée lorsqu'elle avait dix-sept ans.
Dans un vertige sensuel et existentiel, Iris éprouve alors la tentation de faire revivre cette passion qu'elle croyait éteinte : et si une seconde chance se présentait à elle ?

Mon avis : C'est un livre sur le renoncement. En le refermant, on ne peut s'empêcher d'avoir un goût amer. Iris s'émancipe d'un quotidien pesant, revit son adolescence dans les bras d'un ancien amant qu'elle surnomme sur son téléphone « Douleur » (d'où le titre) C'est donc le passé qui revient, insidieusement, douloureusement. En arrière-fond, est évoquée la Shoah, traumatisme originel. Je pense qu'on peut avoir une lecture symbolique : le passé avec Ethan représente une échappée par le fantasme, là où sa vie disloquée peut évoquer la situation de l'Israël et de la Palestine.

Car en parallèle se tisse la situation israelo-palestienne, en même temps que paradoxalement, la situation initiale (qui est donc un attentat) s'éloigne. La devise dans l'école que dirige Iris « l'autre, c'est moi » semble échouer. Pourtant, on sent que la réconciliation d'Iris avec elle-même, avec les autres, parle de ça. le morcellement de son corps, qu'on fait tenir à coup de vis, sa reconstruction impossible dit quelque chose de ce territoire fragmenté. Et la fin, avec un espoir, un point d'interrogation optimiste parait aller dans ce sens.
L'aventure en elle-même est irréelle, un songe qui se dissipe quand la journée et la « vraie » vie se dessinent. Ethan ne peut qu'être un fantôme du passé, qu'une douleur qui fait écho à celle de cet attentat. Une marche vers la redécouverte de soi. Et c'est ce que je peux regretter, car pour ma part, ce sont les passages que j'ai préférés. (L'ambiguïté d'une boulette de viande régurgitée dans la bouche de son amante, y a que ça de vrai).On peut diviser le roman en trois parties : et malheureusement, l'intrigue s'essouffle dans la troisième, là où Iris abdique pour « sauver » sa fille d'un gourou bas de gamme. La fin balaie un peu ce qui a été établi, cette douleur lancinante semble être repoussée du revers de la main, et ça peut être frustrant du point de vue du lecteur, que tout se résolve si aisément alors qu'on mâchonne obstacle après obstacle, et qu'on ressent un léger « tout ça pour ça ». Mais la destination compte peu, et j'ai tout de même apprécié le voyage.
Un extrait révélateur, mais pas trop non plus, enfin, je l'espère :
« - Ne t'en va pas, ne me laisse pas », chuchote-t-il, et en regardant de nouveau sa montre, elle découvre qu'il est minuit passé, son corps est gorgé d'amour, de sève adolescente, de feuilles mortes écrasées, de promesses, de serments et de regrets aussi vieux que les enfants qu'ils n'ont pas eus, elle se détache de lui le coeur chaviré, elle aussi a perdu la notion du temps et de son identité, d'où vient-t-elle, où va-t-elle, devra-t-elle rendre des comptes et à qui ? »

Angleterre, 30 mars 1924. Comme chaque année, les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu'ils aillent rendre visite à leur mère le temps d'un dimanche. Jane, la jeune femme de chambre des Niven, est orpheline et se trouve donc désœuvrée. Va-t-elle passer la journée à lire ? Va-t-elle parcourir la campagne à bicyclette en cette magnifique journée ? Jusqu'à ce que Paul Sheringham, un jeune homme de bonne famille et son amant de longue date, lui propose de le retrouver dans sa demeure désertée. Tous deux goûtent pour la dernière fois à leurs rendez-vous secrets, car Paul doit épouser la riche héritière Emma Hobday. Pour la première - et dernière - fois, Jane découvre la chambre de son amant ainsi que le reste de la maison. Elle la parcourt, nue, tandis que Paul part rejoindre sa fiancée. Ce dimanche des mères 1924 changera à jamais le cours de sa vie.

Mon avis : Attention, gros coup de coeur !

Si le début m'a fait penser au film The Little Stranger (2018), qui parle aussi de cette aristocratie agonisante de début de siècle, la suite ressemble bien comme l'annonce le New York Times à une relecture de Cendrillon.
La narration du début est originale, avec de nombreuses diffractions du sujet, un tournage autour du pot qui revient à l'entrevue de ce couple bien mal assorti, à ce cendrier posé sur le ventre. Une pendule brulée, le temps arrêté. Cela donne quelque chose de presque méditatif, le fait de suivre l'intrigue, et d'être ramené à ce point initial, comme un ancrage dans l'histoire.
Car il s'agit d'un point de départ. C'est la mort des barrières de la naissance, et la naissance d'une écrivaine. Nue, comme un bébé dit-elle, Jane déambule et se révèle, après le départ de son amant. Mais la Cendrillon ne sort pas de la cuisse du prince, mais de ses propres efforts, de son propre talent (elle accouche d'elle-même dirons-nous). Et la figure du prince fascine, obsède du fait de son absence. Des prolepses nous indiquent en effet l'avenir (et on ressent la même mélancolie que dans La ligne verte, mais si vous savez, quand tout le monde meurt et qu'il ne reste que Mr. Jingles). La brièveté de la vie. L'imprévu.
Et ce n'est pas tout. L'écriture est belle, sans trop en faire, avec des pichenettes pour nous réveiller de notre hypnose. Et surtout, elle murmure plus qu'elle ne dit, elle suggère magnifiquement. Il y a écrit sur la quatrième de couv' « un véritable joyau ». Je trouvais ça un peu pompeux, mais j'ajouterais encore plus cliché : c'est un diamant brut. On le lit, et l'auteur a l'intelligence de nous laisser le sculpter nous-même. le résultat ? On le finit et on veut le relire. Et ça, les amis, c'est assez rare pour être souligné.

La narratrice de ce roman se prénomme Natchan.
Célibataire, elle vit à Tokyo. Au début du livre, sa sœur aînée Makiko, bientôt quarante ans et sa nièce Midoriko à peine treize ans, débarquent chez elle, lui imposent leur présence et plus précisément leurs problèmes. Car Makiko semble avoir profondément changé depuis que son mari l'a quittée.
A Osaka, seule avec sa fille, une obsession s'est peu à peu emparée de tout son être : le projet de modifier son apparence en ayant recours à la chirurgie plastique est devenu pour elle le seul moyen d'aspirer à un bonheur nouveau, d'échapper à la haine de soi.

Mon avis :  C'est une histoire de féminité à laquelle nous avons affaire, et à plusieurs voix. Natsu, d'abord, la tante et narratrice, dont le récit est entrecoupé par le journal intime de Midoriko, la fille de Makiko.

Les femmes sans cesse ramenés à leur biologie (Seins et oeufs, oeufs=ovule, vous aurez deviné). L'angoisse des premières règles chez la plus jeune, envie de mammoplastie pour sa mère. Celle-ci qui compare avec sa soeur le corps des autres femmes aux bains publics... La récurrence du sang, manifestation des émotions ou des peurs. de la sueur, qui colle la peau comme une mise-en-bouche du final explosif. Ce corps féminin est en constante mutation. La peur de la jeune fille, de devenir une femme. La peur de celle qui vieillit, de ne plus en être une totalement. Et l'étrangeté constante, face à ce corps qui ne cesse de vivre et de s'animer. Qu'on souhaite modifier ou au contraire ne rien y changer. Et qui trahit, toujours.Autre remarque : l'écriture. Je lis comme critique que le style de l'autrice est trop occidental et pas assez dépaysant. Je trouve cela dommage d'être assigné à une nationalité, et aux projections que celle-ci peut véhiculer. L'art, c'est certes faire voyager, mais aussi rentrer chez soi. On n'aimerait pas autant les polars scandinaves si les flics n'y buvaient pas café après café. Exemple volontairement ironique, mais vous voyez l'idée. le miroir tendu dans ce livre m'a rappelé des scènes vécues avec les femmes de ma famille. Les papotages qui nous paraissent parfois une musique d'ambiance et qui pourtant nourrissent et modèlent notre vision du monde. Malgré les incompréhensions, malgré les silences (et celui de Midoriko montre quelque chose de l'impossibilité à retirer certains mots), elles cohabitent. Entourées, et seules face au bavardage de l'autre. Comme si nous étions irréels...
Et c'est aussi une réflexion sur le fonctionnements du cerveau aussi, avec le personnage de Natsu, qui ne sait plus d'où vient tel ou tel souvenir, qui déréalise parfois. le processus des souvenirs est parfaitement décrit : l'attention sur des petits détails, le floutage du reste. La manière dont on les remâche en voulant les remodeler. C'est une histoire lente comme une journée de fin d'été chez de la famille. On se demande quand ce sera fini, et quand ça l'est, on ne sait pas trop ce qu'on en a pensé.

Elle a passé la nuit avec un homme et est venue se présenter à la police. Alors ce dimanche matin, au deuxième étage du commissariat, une enquête est en cours. L'haleine encore vive de trop de rhum coca, elle est interrogée par le Major, bourru et bienveillant, puis par Jeanne, aux avant-bras tatoués, et enfin par Carole qui vapote et humilie son collègue sans discontinuer.
Elle est expertisée psychologiquement, ses empreintes sont relevées, un avocat prépare déjà sa défense, ses amis lui tournent le dos, alors elle ne sait plus exactement. S'est-elle livrée à la police elle-même après avoir commis l'irréparable, cette nuit-là ?

Mon avis : C'est un livre court, original et pudique que je viens de lire. La plupart de l'intrigue se situe après le viol. L'autrice joue avec les attentes du lecteur. Toutes ces digressions, ces tournages autour du pot nous renvoient notre voyeurisme en pleine gueule. C'est original parce que broder et se laisser happer par tout et n'importe quoi reproduit merveilleusement bien le cours enragé de la pensée. On comprend comment l'attention ne peut que se porter sur tout et n'importe quoi pour éviter le réel dans ce type de moment ; et c'est aussi terriblement prosaïque. On voit les réactions plus ou moins appropriées des policiers, les questionnements et remises en question même quand toutes les preuves sont là, même quand elle porte encore les stigmates de ce qu'elle a subi. On met en doute sa parole parce qu'elle est lesbienne et a invité un homme chez elle. On met en doute sa parole parce qu'elle est humaine et que tout n'est pas forcément explicable. On met en doute sa parole alors qu'elle pisse littéralement le sang, on met en doute sa parole alors qu'elle a des marques de strangulation, on met en doute sa parole alors qu'elle a fait tout ce qu'on dit de faire dans ces cas-là. On met en doute sa parole et on se demande ensuite pourquoi seulement quinze pour cent des femmes portent plainte. Un roman à lire.

Comment se « développer » quand on est sans cesse « enveloppé » par des coachs ? Comment le développement serait-il « personnel » quand guides et manuels s'adressent à chacun comme à tout autre ? La philosophe Julia de Funès fustige avec délectation les impostures d'une certaine psychologie positive.

Mon avis :   Les coaches, Julia de Funés les décrit comme une après-midi coincée devant M6 (relooking, homestaging, médiation sexuelle et familiale). le noeud du problème se trouve dans le titre : comment aider une personne dans sa singularité, dans son unicité avec des mots destinés au plus grand nombre ? Dans un premier temps elle fait l'était des lieux ; elle tire à balles réelles (on ressent un peu de cruauté par moments, moi j'aime bien la cruauté, mais ça ne peut pas plaire à tout le monde). Dans un second temps, elle apporte des solutions au questions existentielles que se posent les lecteurs de ces livres. Et c'est intéressant, parce qu'elle utilise un ou plusieurs philosophes pour chaque problème particulier, (coïncidence avec le vrai soi ; voire même existence du soi, et bien d'autres questions). Pour qui je conseille ce livre ? Pour ceux qui aiment bien ricaner comme moi, mais surtout pour ceux qui aiment la philosophie. Si ce n'est pas votre tasse de thé, passez votre chemin (d'autant que la deuxième partie ressemble à deux heures en salle B12 un lundi après-midi).

Ce que je peux regretter : les multiples occurrences du mot « comportemental » sur le banc des accusés me donnent l'impression que l'autrice est du côté psychanalyste - or la psychanalyse refuse tout autant de se soumettre à des preuves « randomisées » que les solutions miracles. D'ailleurs, les théories de Freud dans la guérison d'un patient sont aujourd'hui autant remises en cause que ces pseudo-sciences (Ben oui, expliquer l'angoisse d'une femme par son avis de voler le phallus de son père, ou la phobie des chevaux d'un homme par son angoisse de la castration, ça n'allait pas tenir 3 siècles non plus). Alors que les thérapies comportementales (dans le cadre médical) ont une efficacité prouvée. D'ailleurs elle remet en question les neurosciences dans l'étude des pensées, je ne suis pas vraiment d'accord sur ce point, surtout que ses arguments s'affaiblissent à ces moments précis (on aurait « perdu notre âme » à se laisser réduire par des statistiques et autres camemberts). Je pense à titre personnel que dépassionner un trouble psychique comme on le ferait avec une épilepsie ou autre trouble neurologique aide beaucoup plus le patient que vouloir à tout prix lui faire dire qu'il voulait se taper sa mère quand il était petit (mais cela ne nous regarde pas). Deuxièmement, je pensais vraiment qu'elle allait parler du fait que la recherche d'un bien-être individuel éloignait d'une solution collective (et donc politique). Bref, que ce développement personnel participait à une vision inégalitaire, et méritocratique du monde. Que cette bienveillance sirupeuse était souvent reprise dans le monde du travail (la fameuse horizontalité, où comment critiquer les agissements d'un patron si amical, ou même lui demander des droits sans être mal à l'aise). Mais non, et c'est un peu dommage, parce que le gros danger, selon moi, se situe là. Mais bon vais-je critiquer un livre précis et documenté pour autant ? La réponse est oui, je viens de le faire. Désolée. Parce qu'il est bien en vrai. :D

Après une rupture amoureuse, Judith Duportail s'inscrit sur l'application de rencontre Tinder. Pluie de textos, dizaines d'hommes à ses pieds, ego boosté... Elle jubile. Jusqu'au jour où une information la scandalise : l'application délivre secrètement aux utilisateurs une note de « désirabilité » et les classe en exploitant leurs données personnelles. Autrement dit, Tinder décide pour eux, à leur insu. La journaliste prend alors le pas sur l'amoureuse. Elle se lance dans une recherche qui l'amène à plonger son intimité et dans les rouages des algorithmes... et découvre un document susceptible de faire trembler Tinder.

Mon avis :  Bon sang de bon soir. J'ai été dure avec l'auteur de Sans alcool, je m'en rends compte en lisant ce livre. Parce qu'elle a réussi à lier enquête et « journal intime », avec une belle prose. On sent l'âme d'un écrivain, on lit un livre qui n'aurait rien à envier à d'autres romans. Ce n'est pas parfait, mais vraiment prometteur. Mais celui-ci... On reste dans le ton journalistique, avec tous les tics de langage qu'on entend à longueur de journée. Et c'est énervant, car on se demande pourquoi. Pourquoi ne pas trancher et faire un long article (car si l'on enlève tous les épisodes personnels, et les sources, il ne reste pas grand-chose), ou alors un journal, mais dans ce cas-là, travailler sa langue, nom d'une pipe en bois ! Sa vie, ses pérégrinations amoureuses sont plates, mais si plates qu'on pourrait tracer des lignes téléphoniques et rajouter des pigeons que ce serait moins plat. On est abreuvé de son manque de confiance avec l'impression de ressortir lessivé de l'appel d'une copine qui nous vide son sac dans les oreilles.

Cela manque de perspective. L'autrice dit à certains moments qu'elle a pu interroger d'autres personnes sur leur rapport à Tinder. Ben où sont-ils ? Cela aurait été intéressant, de voir d'autres conceptions. L'enquête n'en est pas vraiment une, puisqu'on a l'impression qu'elle tombe sur les bonnes personnes au bon moment, mais qu'elle ne creuse pas beaucoup. Ce sont juste quelques phrases rapidement scientifiques, quelques chiffres, mais toujours en surface. Oui, les réseaux sociaux, quel qu'il soient sont addictifs, oui, c'est matière à toujours plus de compétition, mais on n'avait pas besoin de ce livre pour l'apprendre. Je ne voulais pas faire de chronique à la base, parce que bon, y a d'autres trucs à faire que descendre des livres dans la vie, mais quand on lit les avis sur Instagram « C'est édifiant » et autres danses de la joie...on ne peut qu'avoir la moutarde qui monte au nez. Quand Delphine de Vigan devient la nouvelle norme, ou le nivellement par le bas.
Alors que Claire Touzard creusait et allait en profondeur dans son sujet, Judith Duportail l'effleure et se contente de sortir quelques poncifs qui luisent tellement ils sont poncés. Bref, on sent que l'article (je laisse ce lapsus volontairement) a été édité uniquement grâce au réseau de la journaliste. Et bon, des jeunes journalistes ou chercheurs talentueux qui aimeraient bénéficier d'un coup de pouce pour faire des recherches, y en a pléthore. Et non, en ressortant de ce livre je n'ai pas l'impression d'avoir lu le témoignage de « la française qui fait trembler Tinder », mais bien l'inverse. Ce qu'on en tire (je vous fais le résumé pour que vous ne perdiez pas trois heures de votre vie) : Tinder, c'est mal, les gens qui jugent sur le physique, c'est mal, et ceux qui larguent sans explication, c'est mal. La solution ? Trouver son Elo score (ou égo score, elle le dit elle-même, c'est à dire son score de désirabilité), pour vaincre Voldemort. Ah non ? Tant pis.

Dans la lignée d'une Lionel Shriver, un premier roman choc qui explore les rapports de domination au sein du couple et de l'amitié, les traumatismes subis dans l'enfance et le vice tapi derrière les apparences les plus lisses. S'appuyant sur une construction machiavélique, Michelle Sacks nous entraîne dans une spirale où chaque personnage révèle son double visage.

Mon avis :  Faut-il lire La vie dont nous rêvions ? La réponse qui me vient spontanément à la bouche est un « meh » mou. le début est presque comique dans cette description de la parfaite ménagère, mais le problème, c'est que c'est too much. On n'y croit pas, et on le sent trop, que quelque chose va mal se passer. Dès le départ, le ton est donné, et donc les enjeux se dégonflent assez rapidement. L'autre principal problème dans ce manque de nuance, c'est la caractérisation. Tous les personnages sont trop méprisables pour qu'on soit réellement mal à l'aise. On ne peut s'attacher à aucun. Ni croire à grand-chose. le point de non-retour qui arrive vers le milieu aurait du être beaucoup plus glaçant, au lieu de quoi se met en place une enquête que Lili Rush de Cold Case n'aurait pas reniée. Même le mobile du coupable est finalement peu compréhensible, et concevable par moi-même. Non pas que je sois choquée, non, c'est vraiment que j'ai du mal à le comprendre, ce n'est pas très logique et me donne juste l'impression qu'on désirait un soubresaut de l'enquête à la fin du roman. Est-ce que j'ai détesté pour autant ? Non, je ne peux pas le dire non plus. Ce n'est pas foncièrement mauvais, peut-être pas très recherché dans l'écriture, mais efficace, et je pense que dans un thriller, c'est souvent ce que l'on recherche. Mais dans la dénonciation de la toxicité des relations entre femmes, mère-enfant, ou même dans un couple, j'ai trouvé que c'était trop grandiloquent pour y croire. Ce n'est pas assez insidieux. Un peu dommage, mais pas à regretter non plus. Si c'était à la télé, je zappouillerais paresseusement (ou plus probablement, je regarderais un autre épisode en mangeant des chips).

J'ai toujours cru que j'écrivais sur les hommes. Avant de m'apercevoir que je n'écris que sur les femmes. Sur le fait d'en être une. Écrire sur les putes, qui sont payées pour être des femmes, qui sont vraiment des femmes, qui ne sont que ça ; écrire sur la nudité absolue de cette condition, c'est comme examiner mon sexe sous un microscope. Et j'en éprouve la même fascination qu'un laborantin regardant des cellules essentielles à toute forme de vie.

Mon avis :  Je vais immédiatement évacuer la question qui avait fait polémique à la sortie : est-ce que ce livre romantise trop la prostitution. Ma réponse : on s'en fout. Je ne suis ni pour ni contre l'abolition de la prostitution, je ne suis pas assez renseignée sur le sujet, j'ai entendu des avis des deux côtés très convaincants et la vérité, c'est que je n'ai aucune (mais aucune) opinion là-dessus, je ne suis pas qualifiée pour parler à leur place. Et c'est là où ça me fait grincer des dents : accuser ce livre de vendre une image d'Epinal de la prostitution, c'est faire taire une femme, et son ressenti. Emma Becker a vécu les choses de cette manière (loin de donner envie, ce qui est tout de même un comble quand on lit certaines critiques).

La question qu'il nous reste à nous, lecteurs ? La littérature ! Est-ce que La Maison est un bon livre ? Oui, six fois oui ! Il y a un amour de ces femmes, et des lieux qui ne peut qu'être communicative. La forme est délicieusement digressive. Passé, présent, futur se mélangent au gré des pensées de l'auteur, qui nous tient la main pour visiter ce bordel. On voit ce qui peut se faire de mieux, et de pire, on voit la bestialité, la tendresse aussi. Et surtout la vie. La langue ? Aussi belle que l'exige le sujet. C'est quand elle furète dans les jupons qu'elle excelle. Parfois mordante, souvent caressante, toujours pleine d'amour et de compréhension. On sent le recul de l'écrivain, qui se protège de son statut comme d'une carapace (et depuis que j'écris, combien de fois je me suis rassurée devant une situation déplaisante (« matière à écrire »). C'est donc aussi une réflexion sur l'écriture, sur ce qu'on est prêt à sacrifier (si c'en est un, ce dont je doute après lecture).
Loin des clichés (et finalement des vraies images d'Epinal de la prostitution), elle nous prouve, nous démontre, que ces filles, ça pourrait être n'importe qui. Nous interroger, nous faire douter, nous faire vivre un monde inaccessible où chaque geste, chaque odeur se dessine devant nous, c'est déjà bien. Mais rendre hommage à ces femmes avec la gourmandise d'un Maupassant (Zola aussi est cité, me faisant penser à son effroi devant la Femme, la Nana impériale qui flambe beauté et argent, coup de tête sur coup de tête, angoisse de la castration dirait Freud, mais cela ne nous regarde pas (fermeture de la digression dans la digression), dans une société ou le sexe transpire sans laisser d'odeur, chapeau!

Enfant, Constance s'était fait une promesse : ne jamais enfermer sa grand-mère dans un hospice, ne pas la laisser dans la solitude de sa maison. Rester aux côtés de cette femme résolument moderne, féministe, bienveillante, courageuse, qui l'a élevée seule avec une dévotion et une compréhension infinies. N'a-t-elle pas couvert une fugue sur les pas de George Sand ? fermé les yeux sur ses frasques adolescentes ? confié que les femmes n'avaient pas besoin des hommes pour s'en sortir ? Il semble inconcevable de l'abandonner à l'aube de ses quatre-vingt-quatorze ans. Pourtant, pour la petite fille d'autrefois qui vit désormais sur un autre continent, il n'est pas si facile de respecter ses engagements...

Mon avis : La mort, (la fin si l'on veut faire dans l'euphémisme) c'est un sujet qui me parle. Qui nous parle, tous, je suppose, mais qui m'effraie particulièrement. Ici, les pires craintes sont confirmées. Car il ne s'agit pas que du point final d'une vie, mais avec celle-ci, parfois, de toute une branche de la famille. Comment les générations remplacent les générations, sans avoir, à la fin, plus aucun souvenir de la première. Et poussière redevient poussière, et la réassurance de persister dans les souvenirs de ses proches s'évapore. Et pourtant, ce n'est pas que ça, dans les Jours aimés. Car l'autrice nous parle aussi d'une France qui change. Cette fameuse France périphérique, semi-rurale, provinciale de fait, qui est dénaturée par des bâtiments sans âme, des ronds-points, des routes, des hyper interchangeables. La grand-mère chérie, la grand-mère à laquelle on n'arrive pas à dire au revoir, c'est aussi cette France-là. Je ne veux pas que vous croyiez qu'il ne s'agit que de tristesse, c'est aussi une tranche de vie belle, une tranche de vie réaliste, où l'amour et la joie transpire dans cette relation entre grand-mère et petite-fille. C'est un livre qui nous parle d'héritage, et qui montre la brutalité des semaines qui suivent. Les vêtements repassés qu'on retrouve dans une benne, les meubles échangés de générations en générations jusqu'à ce qu'on n'ait plus de place, la revente de la maison chérie pour avoir un pied-à-terre près de la mer, bref, ces petits marchandages terribles que chacun de nous peut faire, du moins intérieurement, manière peut-être, de marchander avec l'absence. Et enfin, c'est un livre qui parle de ce silence. le silence des derniers jours, quand la pudeur clôt les lèvres, mais voile les regards. Ces petites habitudes qui deviennent si délicates quand on ne sait combien de temps on pourra encore les faire. La dignité, la beauté. Réflexion sur la mémoire, et chant douloureux, pourtant magnifique, c'est un livre court qui avec une prose précise (féroce parfois), toujours belle, arrive à nous serrer la gorge doucement, tout doucement. Nostalgie, mélancolie, le bonheur d'être triste. Les crépuscules peuvent être majestueux.

Trois femmes, trois histoires, trois destins liés.
Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l'époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d'épouser son cousin.
Patience ! C'est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu'il est impensable d'aller contre la volonté d'Allah. Comme le dit le proverbe peul : « Au bout de la patience, il y a le ciel. » Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ?

Mon avis : J'ai bien aimé ce roman, même si au départ, le style, assez simple, m'a déroutée. Mais c'est assez logique, quand on part du postulat qu'il s'agit d'un roman « documentaire », et que les trois héroïnes ne vont donc pas parler comme dans un livre, puisqu'elles racontent leur histoire. Je vais commencer avec les quelques petits défauts, (qui selon moi, n'entachent pas non plus la lecture) pour aller vers les forces du roman. C'est un roman divertissant, (enfin, si l'on peut dire que lire tant de choses atroces qui arrivent à ces femmes peut être divertissant), dans le sens où il est assez difficile d'abandonner sa lecture quand on est bien lancé. Il y a quelque chose de presque envoutant dans la plume de l'autrice, on est captivés, et rien que pour ça, c'est selon moi une réussite. Mais ce que j'aurais aimé, c'est peut-être une narration qui mettrait ces trois voix en perspective, et aussi plus de thématiques. Parce qu'à part les violences conjugales, sociétales, voire religieuses que subissent ces trois femmes, il n'y a pas trop de choses à se mettre sous la dent. C'est déjà pas mal me direz-vous (et vous n'auriez pas tort !). Oui, et d'ailleurs, ça marche. Mais je pense que si le livre avait été plus long, il y aurait eu une possibilité d'enlisement de l'intrigue. Autre chose qui a pu parfois me sortir du livre, c'est le côté démonstratif, un peu scolaire des dialogues, qui manquent du coup de naturel à certains moments. Les personnages nous parlent à nous, et non pas aux autres personnages. Personne dans la vraie vie n'explique telle règle, tel fait, de cette manière. Chaque personnage a du mal à se différencier des autres dans sa façon de parler. Bref, ça manque un peu de vie à ce niveau-là. Et parallèlement, j'ai eu du mal à ressentir de l'émotion quand j'aurais dû, j'ai eu du mal à faire preuve d'empathie quand il le fallait, parce que j'avais du mal à les voir comme des « vrais gens ». Ce qui va de pair avec un certain manichéisme. Mais l'exergue du texte qui parle de faits réels peut balayer cette critique ; je ne doute pas que les choses se passent ainsi, et j'ai apprécié que le troisième récit apporte son lot d'ambivalence. Pour les points positifs, en plus de ce que j'ai dit sur l'aspect addictif du texte, c'est aussi le plaisir que j'ai eu à découvrir une autre culture que je ne connaissais pas du tout. On sent les choses, on a l'impression de faire partie de ces concessions, de ces familles qui se déchirent. J'ai particulièrement apprécié la scène avant le mariage, où Ramla est préparée. le fait qu'on ait ensuite le point de vue de Safira, sa coépouse était une vraie bonne idée. Bref, c'est un bon roman, je pense que vous l'apprécierez, et je vous le conseille, malgré mes petits pinaillages (on change pas une équipe qui gagne, n'est-ce pas !). Mais de là à dire qu'il est bouleversant... je ne sais pas...

Un club de vacances sur la côte basque.
Quatre solitudes qui n'auraient jamais dû se rencontrer.
Une histoire d'amitié et de rédemption.
Anglet, fin juillet. À la réception du Club Océan, Germain accueille comme chaque semaine les nouveaux arrivants, avec un mélange de plaisir et d'appréhension...

Mon avis :  J'ai eu beaucoup de mal avec ce roman. Il me fait penser à un film avec Sophie Marceau, un film qu'on regarde parce qu'on est obligé, à l'hôtel ou l'hôpital. Qui nous fait lever les yeux au ciel à cause des clichés (et ici, ils ne nous sont pas épargnés, avec en moyenne trois expressions toute faite par page). C'est un livre bénin, il ne fait pas de mal, je suppose qu'il doit faire du bien à quelques personnes, mais il n'apporte pas grand-chose. Alors, certes, la littérature feel-good, ce n'est pas trop mon truc, vous le savez. Je pense que pour éviter les critiques sévères et les heures perdues, je devrais m'abstenir. Mais en attendant, le mal est fait, donc on va essayer de secouer le tapis et voir ce qu'on trouve.

Les personnages, déjà. Ils sont assez stéréotypés. Ce qui fait que certains dialogues sonnent comme dans un téléfilm. Il y a parfois quelques fulgurances, quelques trouvailles, mais elles sont trop rares pour faire abstraction du reste. On a l'impression que tout glisse trop facilement, c'est le flunch de la littérature. Parce qu'un très bon livre, justement, il nous fait parfois relire une phrase devant l'originalité. Devant une association qui nous apparait bancale en premier lieu. Ici, on peut finir les phrases de l'autrice ; ça produit le même effet que de l'ASMR, on ronronne peut-être, on ne vibre pas.
Et surtout, c'est le manque d'intérêt qu'on peut ressentir pour l'intrigue. On ne s'intéresse pas assez à ce club pour avoir une véritable envie de tourner les pages. Personnellement, j'ai dû me forcer, et je déteste me forcer à finir un roman. Je comprends la structure, une sorte d'étoile avec plusieurs personnages où on dissémine peu à peu des indices sur leurs vies, et ce n'est pas une mauvaise idée. Mais leurs vies ne m'intéressent pas ; j'ai l'impression que ce sont des personnages de publicité pour la prévoyance retraite. Un peu comme Neuf parfaits étrangers, mais il y avait un peu d'humour dans celui-là. Donc voilà. La littérature feel-good a encore de beaux jours devant elle, mais ça me fait l'effet du homestaging en décoration. Uniformiser pour plaire au plus grand nombre et le plus dommage, c'est que ça marche.

Blythe Connor n'a qu'une seule idée en tête : ne pas reproduire ce qu'elle a vécu. Lorsque sa fille, Violet, naît, elle sait qu'elle lui donnera tout l'amour qu'elle mérite. Tout l'amour dont sa propre mère l'a privée. Mais les nouveau-nés ne se révèlent pas forcément être le fantasme qu'on s'est imaginé. Violet est un bébé agité, qui ne sourit jamais. Très vite, Blythe se demande ce qui ne va pas. Ce qu'elle fait mal. Si le problème, c'est sa fille. Ou elle.

Mon avis :  L'accroche que j'avais trouvé pour Fièvre de lait (Comment devenir mère quand on n'en a jamais eu ?) pourrait tout à fait coller à ce récit. Car le début m'y a fait penser, dans ces errements, ces tâtonnements d'une jeune femme qui apprend à être mère. Il y a quelque chose de très olfactif dans ses premières expériences : l'enfant qu'on pose comme une miche chaude sur le corps de sa mère, ce côté animal, aussi. Mais tout ne se passe pas comme il faut. Car c'est aussi un récit sur plusieurs générations : celui d'Etta, la grand-mère et sa trop grande « nervosité », et de Cecilia, la mère si impassible. Leur relation pourrissante. Et quand Blythe accouche d'une petite fille, elle surcompense peut-être pour ne pas rejouer la même pièce. Sauf que...

T.Todorov définit le fantastique comme (et je reformule avec mes mots forcément plus maladroits) l'oscillation constante entre deux lectures d'un évènement étrange : la rationnelle et l'irrationnelle. Dans le Horla, le personnage est soit fou, soit possédé, et la peur réside dans cette hésitation. Et bien que le texte entre dans la case de « thriller » ou « huis clos familial », je le mettrais bien dans cette case, personnellement. Car on ne sait jamais totalement : Dépression post/partum, crise psychotique pour les mères ? Sociopathie pour Violet ? Et même le récit de Blythe peut être relu avec des pincettes. Quand elle raconte le désamour de sa mère, le désintérêt total, qui nous dit que celle-ci ne la voyait pas comme une menace (et pareillement pour Etta ?) de la même manière qu'elle perçoit sa fille. Dans ce sens, la fin est un chouïa décevante, car elle lève l'ambiguïté, mais là je pinaille.
Autre chose à noter : Beaucoup de symbolisme dans ce roman, comme justement dans les poèmes de Sylvia Plath que l'héroïne lit dans sa jeunesse. le tableau qu'elle achète dans une brocante et qu'elle accroche dans la chambre du petit Sam, ne représente-t-il pas cette figure de la mère que Blythe cherche tant à atteindre ? Tableau qu'on décroche quand l'impossible arrive, quand l'échec revient au centuple, comme un yoyo dans les dents. Et le fait qu'elle s'attache tant à son fils, qu'elle décrit son plus grand attachement à son père (comme sa fille, finalement), que le masculin l'emporte d'une manière si douce, si insidieuse, n'est-ce pas finalement expliquer (un tout petit peu !) l'inexplicable.
Seul petit bémol, l'écriture, parfois un peu trop classique (quelques expressions toutes faites (et oui, vous commencez à me connaître ! et aussi à certains passages, des constructions de phrases un peu rigides, figées (mais peut-être que Traduttore, traditore, qui sait?)
Pourtant, ça n'empêche pas un gros coup de coeur, comme quoi, le combat écriture/intrigue est parfois caduc.

En France, on s'avoue rarement alcoolique. Quand on boit on est festif, irrévérent, drôle. Français. Un jour pourtant, Claire arrête de boire. Elle prend conscience que cet alcool, prétendument bon-vivant, est en vérité en train de ronger sa vie. Il noyaute ses journées, altère sa pensée, abîme ses relations. En retraçant son passé, elle découvre à quel point l'alcool a été le pilier de sa construction et de son personnage de femme. Sans alcool est le journal de son sevrage. Un chemin tortueux, parfois rocambolesque, à travers son intimité. Une quête de libération complexe, dans un pays qui sanctifie le pinard. L'autrice affronte son passé, l'héritage familial, le jugement des autres. Son récit interroge, au-delà de son expérience. Pourquoi boire est une telle norme sociale ? Alors qu'on lui a toujours vendu la sobriété comme le choix des cons et des culs bénis, elle réalise qu'on l'a sans doute flouée. Être sobre est bien plus subversif qu'elle ne l'imaginait.

Mon avis : La fête est plus folle ?

Attention à ce livre ! Si vous le commencez, peut-être comme moi, vous serez agacé. Un peu de nombrilisme et de jugement, saupoudré de condescendance envers les « vrais » alcooliques, vous serez peut-être désarçonné par cette forme mi-figue, mi-raisin. Quelques lieux communs et de remarques qui frisent le pathos « Tant de moments, tant de journées, tant d'heures, qui m'ont échappé. Qui m'ont été volées. Par l'alcool. Une vie entière », qui pourraient vous donner envie de refermer le livre. J'avais même commencé une critique assassine, avant d'éplucher les sous-couches. Car on tourne souvent en rond. Surtout quand Claire Touzard parle d'elle, de son couple, des autres, si menaçants, si décevants... On ne peut s'empêcher de ressentir parfois un effet Calimero. Mais heureusement, elle ne parle pas que d'elle. Et là, et là...
On voit qu'elle va en profondeur dans son sujet. Cet « alcoolisme mondain », elle le connaît du bout des doigts. Elle sait comment l'arrêt de quelque chose (cela est ici l'alcool, cela pourrait être n'importe quoi) mène souvent l'entourage à s'interroger sur sa propre consommation, et donc à être parfois passif-agressif avec la personne. Ou encore, comment arrêter l'alcool quand il participe à une certaine vision que l'on a du monde : un écosystème rempli de magnifiques loseurs, ou gagner n'est plus le but, mais où justement l'on peut être reconnu dans son imperfection. Cet « amour des choses brisées, des loses racontées, des vies imparfaites et toutes pétées. »En chantant Creep de Radiohead. Et surtout, comment faire connaissance avec ce nouveau moi, qu'on a l'habitude de voir gueulard et rieur avec les autres, comment flirter avec cette nouvelle timidité ? Avec cette nouvelle féminité aussi ? Car la femme qui boit casse à sa manière les stéréotypes. Elle égale les hommes dans ces défis nocturnes, dans cet « ébréchage » d'elle-même.
Et là où elle excelle, c'est quand elle quitte un peu son « personnage » pour s'intéresser à sa Bretagne. L'écriture alors s'enrichit, la jeunesse décrite devient commune à beaucoup d'entre nous. « En Bretagne, les festivals indépendants pullulaient, et devenaient des orgies à ciel ouvert, où les jeunes embarquaient des bouteilles en plastique emplies de cocktails infâmes, des packs de bière bon marché dont le graphisme cheap des emballages empruntait un rigorisme dépouillé presque soviétique, époque Staline. »
Une lecture un peu en clair-obscur, donc, car malgré une mise à plat du sujet, de beaux passages, on s'ennuie assez souvent quand on retourne dans sa vie parisienne, qui ne nous épargne pas certains poncifs des autofictions actuelles.

Quand ils se rencontrent à l'université, ils ont la vingtaine. Valentine croit à la tradition, François au progrès, mais ils tombent amoureux. Les années passent et avec elles arrivent le premier emploi, le premier appartement, le premier enfant, le mariage.
Dix ans plus tard, François est devenu grand reporter, Valentine est éditorialiste.Ils ont trois enfants et tout de la famille idéale. Pourtant, quelque chose dissone. Peu à peu, sous le vernis des apparences, se révèlent les secrets et les fautes enfouis.

Mon avis :  On assiste à la décrépitude d'un couple, un peu comme dans un film de Bergman, où l'on sait pourquoi on veut partir, mais l'on ne sait plus pourquoi on reste. Finalement, c'est dans toute la famille que le poison s'instille car vers la moitié du roman, l'intrigue prend une tournure à la We need to talk about Kevin (très bon film, que je vous conseille d'ailleurs). Un retour du refoulé à rebours (en même temps, c'est le but), et la haine qu'on cache sous le tapis revient dans le sourire factice d'un enfant. C'est aussi le miroir d'une France fragmentée. Les griffures que Valentine s'inflige, les inquiétudes que François tait à coup de rationalisation surgissent à la surface comme autant de dissonances dans ce couple. Car comment concilier deux visions aussi opposées, aussi différentes ? Comment survivre autrement qu'en se dissolvant dans cette unité aux yeux des autres ? Ou quand le couple ne peut plus parler :« Rien qu'un désintérêt pour toute profondeur, pour tout questionnement n'ayant pas trait à l'heure du repas, au programme du ciné. », qui emblématise aussi comment des dialogues toujours plus stériles, toujours plus dissociés de la réalité du plus grand nombre finit par creuser des fossés infranchissables. Une prose précise, presque des aphorismes, qui étonne par leur sagesse. On a cette impression que M.Metayer a vécu au moins trois vies pour observer aussi bien les tics, les petits rituels de chacun. Ce qui est intelligent, c'est aussi cette construction en oeillères. La focalisation dans tel personnage empêche l'empathie à l'instant T avec l'autre. Ce qui fait que leur incommunicabilité est renforcée et que tout ce qui peut nous sembler déplaisant à nous lecteurs, (la mollesse de François, la froideur de Valentine) sera balayé quelques chapitres plus loin. Bref, un très bon roman, que je ne peux que vous conseiller !

Mon avis : On retrouve ce style très naturel, qui fait penser à ces fausses correspondances du 17ème (comme les Lettres portugaises de Guilleragues, qui furent longtemps attribuées à tord à une religieuse à cause de leur vraisemblance !). J'ai même éprouvé un doute au début de ma lecture « j'ai supprimé certains passages, car redondants ou inutiles ; je les ai signalés par le sigle conventionnel :[...]. » Plus loin, l'intrigue bien entamée, on sent un rapprochement indéniable avec Zola, et l'auteur esquisse cette problématique dans notre tête : Comment Gervaise et Coupeau s'en sortiraient-ils au XXIème siècle ? Les choses ont-elles tant changé depuis l'époque de l'Assommoir ? Rien n'est moins sûr...
Autre point fort du roman, les différents points de vue, qui sont un choix vraiment judicieux. On éprouve cette curieuse sensation de se situer dans un angle-mort. Assez vite, les confidences diffèrent selon les personnages, et se pose l'insidieuse question : Qui croire ? Ce qui est très bien décrit c'est l'empiètement de la sphère privée par la sphère professionnelle. Au début idyllique d'une famille parfaite qui profite de quelque temps de vacances succèdent la monotonie du travail. Mais ne s'agit-il que de monotonie ?
À la fin de ma lecture, je ressens une amertume, que l'auteur a réussi à doser peu à peu dans son roman. L'absurdité de nos vies contemporaines dont les heures se remplissent de contraintes et de rapport de domination, de concurrence entre collègues. Et cela afin de profiter d'un répit qui n'est que de courte durée. Un peu comme dans l'Assommoir, on se mord l'intérieur de la bouche en lisant, un peu inquiet de ce qu'il va advenir. On la craint, la catastrophe, et ce malgré la tendresse de l'auteur pour ses personnages.
Puisqu'en plus d'empiéter sur la vie de famille, le travail abîme le corps. Et il s'agit presque d'une enquête sur comment le poison s'instille d'abord dans nos esprits, pour attaquer le corps. Ces corps courbaturés, suppliants, sous le joug de ces heures infinies de travail. Des heures que le capitalisme démultiplie, tirées d'obscurs sièges pour atterrir dans des tableurs excel sans penser une seconde à ces vies qu'elles prennent en otage. Car c'est de cela qu'il s'agit vraiment. Cette force de travail, cette force de vie qu'on arrache pour des tâches éreintantes. Et le pire, c'est que dans un souci d'optimisation toujours plus poussif, on n'hésite pas à sacrifier ces vies au profit de machines. Guilhem Candie nous décrit ces vies derrière ces caisses, à nous montrer le drame qui se joue parfois derrière les sourires amènes, et pour cela, c'est un grand bravo.

Le 25 mars 1993, Élisabeth Wagner, bientôt majeure, entre dans le cabinet d'une psychiatre renommée. Elle vient y poser un carnet violet, sachant qu'il y aura des retombées. À son histoire s'ajoutent celles de trois autres femmes dont les vies sont en lien avec la sienne. Les voix de sa mère, de sa psychiatre et de sa meilleure amie s'entremêlent, de 1958 à 2006, racontant l'après-guerre, les hommes, les lâches, les fourbes, les héros, décrivant des femmes, blessées, fortes, rebelles. Il est question ici d'incidences, de folie, de pouvoir, d'un parcours de vie sans cesse détourné. Ce roman, construit comme un puzzle, dresse le portrait de femmes dont les sensibilités exacerbées donnent au monde une lumière presque magique.

Mon avis :  Boris Cyrulnik, en parlant des traumatismes, indique qu'on retrouve dans les gênes d'un petit primate ceux que sa mère aurait vécu. Bon, il le dit mieux que ça, mais vous voyez l'idée. le roman le bruit et la mémoire parle de cela. On y suit les destins entrecroisés de plusieurs femmes, et comment les souffrances communiquent, se répondent.

La transmission
On voit comment, d'une manière tragique, on transmet ce que l'on souhaite le plus cacher. le silence est plus signifiant que les mots, et en voulant protéger, comme Jocaste et Laïos, on tricote ce fil du destin qu'on ne peut plus fuir.
La vie qui se raconte
A travers 4 points de vue, on réfléchit aussi à ce qu'on dit de soi, à soi, ou aux autres. En effet, Mélanie est biographe, Marion est psychiatre. Ce sont des métiers où elles écoutent, mais quand les mots ne peuvent plus les atteindre (surtout pour Marion), c'est le moment de l'introspection. On assiste à une quête, où l'essentiel n'est pas de découvrir une vérité cachée (car la vérité se cache-t-elle vraiment ?), mais de l'accepter. Pour Elisabeth et Jo Louise, au contraire, c'est en parlant, en se confiant qu'elles remettent les choses à leur juste place et qu'elles comprennent ce qui leur arrive. Ce sont les mots qui les lient les unes ou autres. Mais est-ce suffisant ?
L'impossibilité de tourner la page ?
Parler ne suffit pas, parler ne sauve pas. Que ce soit dans les analepses auprès de Théodore (où l'empathie ne permet pas le pardon), ou pour Elisabeth, où parler est parfois plus une étincelle qu'un seau d'eau, les mots n'aident que si l'Autre écoute. Dans cette psychanalyse collective où chaque voix compte, pourront-elles se sauver ? Car finalement, la menace ne se dissout jamais. Comme un rapace, elle plane au-dessus de ces vies, matérialisée dans la peau d'ennemis. Mais n'est-ce pas un symbole ? Ce prédateur invisible aurait pu être la maladie d'Elisabeth, le déni de Marion, où tout simplement, la difficulté à se reconstruire.
Bref, je ne peux qu'applaudir. Un grand cru, que je vous conseille !
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